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entraient dans cette coalition, et l’on soupçonnait fortement Palmerston d’être disposé à s’y joindre malgré les sentimens bienveillans qu’il affichait pour le ministère et son chef.

Greville s’étonne de la tranquillité que montrait le duc de Wellington au milieu de cette effervescence universelle. L’exemple du prince de Polignac ne paraissait l’émouvoir en aucune façon. Non-seulement il se croyait de force à résister au courant, mais à l’ouverture de la session de novembre il n’hésita point à prononcer encore une longue diatribe contre la réforme, plus que jamais réclamée par le parti libéral. Ce fut le coup de grâce du ministère, qui comprit huit jours après la nécessité de se retirer.


« Le duc et Peel, écrit Greville le 17 novembre 1830, ont annoncé aux deux chambres qu’ils avaient donné leur démission, et Brougham, en ajournant sa motion, a fait entendre qu’il ne comptait pas entrer dans la nouvelle administration… Lord Grey s’est rendu auprès du roi, qui l’a reçu avec toute la bienveillance possible et lui a donné carte blanche pour former un nouveau cabinet. Lord Grey n’a rencontré aucune difficulté et l’a composé du premier coup. Brougham seul leur cause un terrible embarras. Il a fait montre des intentions les plus hostiles contre le futur ministère. Il s’est vanté de n’avoir voulu rien accepter, pas même le grand sceau (la place de lord chancelier). Il brandit contre eux son projet de réforme ad terrorem. Cet excentrique personnage va leur donner bien du tourment.

« 20 novembre 1830. Hier à midi tout était arrangé, sauf la place de chancelier. Dans l’après-midi, le bruit a couru que Brougham l’acceptait. Grande surprise, joie plus grande encore. Quel charme avait été assez puissant pour calmer cet esprit turbulent ? Quelle amorce avait été assez séduisante pour tenter cette ambition désordonnée ? J’avoue que j’étais loin de m’attendre à ce dénoûment après ses déclarations à la chambre des communes et son attitude pendant ces derniers jours… Quoi qu’il en soit, la satisfaction est générale. Tout le monde comprend qu’il sera discrédité et aplati sur le sac de laine comme sur son lit de mort. Une fois à la chambre, c’est un homme fini, et il peut désormais lancer ses foudres sans blesser personne. »


Si les prévisions de Greville sont un peu en défaut à l’égard de Brougham, du moins il ne se trompe pas en parlant de l’impression que laissa dans le public le revirement subit de l’intraitable orateur de l’opposition, si aisément gagné par le double attrait d’un titre et d’un portefeuille. Le nouveau lord chancelier venait d’être créé pair sous les titres de baron Brougham et de baron de Vaux, un rôle prépondérant lui suffisait pour se consoler des critiques que l’on se permettait à son égard. Il souffre de bonne grâce les railleries de ses amis, A un dîner donné par lord Sefton, où se