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X.

Et au bout du compte qu’est-ce que cela me fait ? se dit-il encore en arrivant au seuil de sa maisonnette. Il est très gentil, mon chalet ! Je l’ai calomnié ce matin. Ces murs trop blancs sont roses quand le soleil les regarde de côté. Mes plantes grimpantes ont de jolies pousses et monteront jusqu’au balcon à la fin de l’automne. C’est un vrai bonheur d’avoir un chez-soi, bien à soi, et de jouir d’une liberté illimitée. Pourquoi blâmerais-je ma tranquille filleule de songer à elle-même quand j’aspire, moi, à ne plus vivre que pour le plaisir de vivre ?

— Arrive donc, mon enfant ! lui cria Mme André, de la salle à manger. Il est cinq heures et demie, et ta soupe refroidit.

— Et je vous fais attendre ! répondit Pierre en se débarrassant de sa gibecière, pleine de fleurs et de cailloux. Vrai, je ne pensais pas qu’il fût si tard !

Il se mit vite à table, après avoir lavé seulement ses mains à la petite fontaine de faïence bleue qui décorait la salle à manger, et, comme il fallait que sa mère fût prévenue de la visite de Marianne, tout en dînant, il raconta l’affaire.

Mme André l’écouta avec calme jusqu’au moment où il lui rendit compte du bon accueil que Marianne avait fait à la demande d’une entrevue. À ce moment, elle se montra incrédule. — Tu me fais une histoire, lui dit-elle, ou bien Marianne s’est moquée de toi. Marianne ne veut pas se marier, elle me l’a dit cent fois.

— Eh bien ! elle ne s’en souvient pas, car elle affirme le contraire, ou bien elle a changé d’idée. « Souvent femme varie ! » Mais qu’as-tu donc, chère mère, est-ce que tu pleures ?

— Peut-être, je ne sais pas ! répondit la bonne dame en essuyant avec sa serviette deux grosses larmes qui coulaient sur ses joues, sans qu’elle eût songé à les retenir. Je me sens le cœur gros, et pour un peu je pleurerais beaucoup.

— Alors parlons vite d’autre chose. Je ne veux pas t’empêcher de dîner. Voyons, maman, tu es très attachée à Marianne. Je sais cela, et je crois qu’elle mérite ton amitié ; mais enfin c’est une fille qui n’est pas si différente des autres qu’elle le paraît. Elle a, tout comme une autre, rêvé amour et famille, tu ne pouvais pas espérer qu’elle y renoncerait pour faire ta partie et relever les mailles de ton tricot jusqu’à la consommation des siècles ? Elle a sa part d’égoïsme comme tout le monde, c’est son droit.

— Et tu crois que c’est par égoïsme que je me chagrine de sa résolution ? Après tout, tu as peut-être raison. J’ai tort, allons ! Je ne