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fermé la barrière à claires-voies. Pour toute serrure à cette barrière, une couronne de branches entrelacées est passée entre les deux premiers rayons et s’accroche à un clou de charrette planté dans l’écorce du vieux arbre qui sert de poteau. On soulève cette couronne, et la lourde et longue barrière roule sur ses gonds fixés à un autre arbre ou à une souche quelconque. La clôture est un talus couronné d’épine en haie ou d’épine sèche coupée et couchée régulièrement dans la terre battue. Celle qui fermait la ferme de Validat était ancienne et très belle. Elle se composait de plantes venues au hasard dans un terrain riche, épine noire et blanche, sureaux, ronces en fleurs, noisetiers, têteaux de chêne d’où part de chaque côté une longue branche courbée et enlacée aux souches voisines, le tout enguirlandé de houblon et de vigne-vierge. Les talus s’étaient recouverts de mousses veloutées, et le petit fossé verdissait sous le cresson, la véronique et la flèche d’eau.

Pierre, voyant qu’il s’était fourvoyé et se faisant remarquer à lui-même qu’il n’avait rien à dire à Marianne qui valût la peine de la déranger, ne souleva pas la couronne de branches qui servait de cadenas à sa porte, et revint sur ses pas en se gourmandant de sa distraction.

Mais l’appartement de la demoiselle, qui avait sa sortie de derrière sur la cour d’exploitation, était tourné en sens inverse et regardait le jardin, situé au midi. Ordinairement le logis du maître, composé d’un simple rez-de-chaussée, prend le jour et la vue sur le domaine, sur le tas de fumier, sur les travaux d’intérieur et sur le bétail, qu’il peut surveiller et qu’il aime à contempler à toute heure. Marianne avait changé cette disposition ; elle avait fait murer ses fenêtres, se ménageant seulement une porte qui lui permettait de communiquer à tout instant avec son monde. Sur la face opposée du bâtiment, elle avait ouvert une fenêtre nouvelle et une porte vitrée. Le bas de la maison n’offrait de ce côté-là qu’un mur sombre égayé par un grand jasmin jaune, une clématite odorante répandue en mille festons touffus et des pyramides de passe-roses variées. Elle avait fait daller le sol sur une largeur de quatre mètres, et un auvent de tuiles protégeait de l’humidité cette sorte de vérandah, fermée de fleurs et d’arbustes, avec une allée ouvrant au milieu et se prolongeant jusqu’au bout du jardin, jardin assez petit, mais charmant et différant fort peu de ceux des paysans aisés d’alentour : un ou deux carrés de légumes avec des œillets et des rosiers en plate-bande, bordures de thym et de lavande ; dans un coin, le vieux buis destiné aux palmes du dimanche des Rameaux ; plus loin, le verger couvrant de ses libres ramures une pelouse fine ; autour de l’ensemble, le berceau de vigne traditionnel avec sa haie pareille à celle de la cour et son échalier fermé d’épines sèches.