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pas sûr, et l’expérience de la Belgique le prouve, que le système des jurys mixtes soit un moyen efficace de relever les études. Dans tous les cas, c’est peut-être une satisfaction d’amour-propre pour les facultés officielles, qui peuvent se dire qu’elles gardent au moins ainsi une partie ou une apparence de leur ancienne juridiction ; en réalité, on ne peut s’y tromper, c’est la diminution, l’effacement de la puissance publique, et ce qu’il y a d’assez étrange, c’est que dans cette discussion passionnée l’état n’a point trouvé un secours des plus actifs parmi ceux qui sont particulièrement chargés de le représenter.

L’état n’est point resté sans défense, il est vrai. Il a été peut-être préservé de plus cruelles blessures par M. Laboulaye, il a été habilement et chaleureusement défendu, il y a quelques semaines, par M. Jules Ferry, et tout récemment encore il a trouvé un défenseur instruit, décidé, dans un homme de talent, M. Lepetit, doyen de la faculté de droit de Poitiers. Jusqu’au dernier moment, il y a eu des tentatives : en désespoir de cause, et comme pour sauver l’avenir, un professeur distingué de Montpellier, M. Bouisson, a proposé de réserver une période de douze ans pendant laquelle l’état continuerait de conférer exclusivement les grades. Quant à M. le ministre de l’instruction publique, il a fait véritablement une singulière figure au milieu de ces débats. Un peu trop absorbé peut-être dans le sentiment de son rôle de législateur constitutionnel, M. Wallon a paru oublier ou il ne s’est point suffisamment souvenu qu’il était professeur, qu’il appartenait depuis longtemps à cet enseignement supérieur traité en ennemi. Il a représenté assez bien au courant de toute cette discussion un membre du gouvernement dans l’embarras, cherchant une opinion, inépuisable en complaisances pour la droite, évitant de se porter au combat avec résolution, avec autorité, et allant tout au plus jusqu’à se réfugier à demi dans quelque honnête et timide réserve. M. Beaussire revendiquait-il pour l’état le titre « d’université de France ? » Mon Dieu ! M. Beaussire avait droit à tous les éloges ; « grammaticalement » il pouvait avoir raison, « historiquement » il avait tort : le titre d’université a toujours appartenu à tout le monde, et rien n’empêche qu’à côté de l’université de France il n’y ait l’université de Lyon, l’université de Marseille, l’université de Toulouse. S’agissait-il des jurys mixtes et du droit de partage dans la distribution des grades ? Hélas ! la question est délicate ; les jurys mixtes ne sont pas sans valeur, ils ne sont pas non plus sans inconvéniens, enfin c’est toujours au nom de la puissance publique que les diplômes seront conférés, le sceau de l’état y sera. Il ne faut pas se brouiller en se montrant trop difficile, — et voilà pour sûr l’état bien défendu ! Il est presque abandonné par ceux qui auraient dû saisir cette occasion si naturelle de relever sa cause, et c’est d’autant plus triste qu’à l’heure où nous sommes, dans la situation troublée de la France, l’état est la dernière autorité morale, la dernière garantie d’impartialité au milieu des