Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

long a dit cela d’un ton dégagé comme la chose la plus naturelle du monde ; il ne s’est pas aperçu qu’en parlant ainsi il dévoilait la conséquence la plus périlleuse de la loi nouvelle, le danger de scinder l’éducation intellectuelle du pays, de susciter dans une même société des esprits ennemis, des générations étrangères les unes aux autres, animées peut-être les unes à l’égard des autres d’incurables défiances. Ces écoles dont M. Chesnelong ne veut pas, dont il parle si légèrement en les représentant comme des foyers d’ignorance et de matérialisme, ce sont les écoles publiques où jusqu’ici les enfans de tous les Français ont grandi ensemble. Si toute cette jeunesse a été dispersée dans des maisons différentes, religieuses ou laïques, d’instruction secondaire, elle se confond encore dans les cours, dans les facultés, dans toutes les écoles supérieures ; elle retrouve par la familiarité, par l’échange des idées, par les études poursuivies en commun, cette habitude de solidarité jusque dans la contradiction qui est le lien national, et voilà ce qu’on s’expose à rompre en prolongeant par système, par emportement de croyance, la séparation dans les études supérieures ! « Vous ne voulez pas de nos écoles, nous ne voulons pas des vôtres. » On nous permettra de dire que c’est la plus délicate comme la plus audacieuse expérience tentée sur l’intelligence française.

Assurément, si la liberté de l’enseignement supérieur avait pu être compromise, elle l’aurait été par ces étranges défenseurs qui n’ont rien négligé pour rendre la tâche difficile au rapporteur, M. Laboulaye, qui se sont efforcés de toute façon, tantôt par un amendement, tantôt par un simple mot, de dénaturer, d’attirer pour ainsi dire à eux cette grande réforme, de lui imprimer le sceau de leurs opinions ou de leurs préjugés. Si la loi peut courir encore des risques, même après avoir été votée, c’est que, par une imprévoyance dangereuse, on a tout fait pour atteindre l’état dans son rôle, dans ses juridictions nécessaires, dans son autorité supérieure. Qu’on accorde aux facultés, aux universités libres, tous les droits qu’on voudra, le droit d’avoir des chaires de toute sorte, des professeurs aussi bien que des ressources indépendantes, le droit d’acquérir la personnalité civile par une déclaration d’utilité publique, c’est une condition de la liberté, il n’y a rien à objecter ; mais évidemment cette liberté s’arrête là où commence le droit supérieur, inaliénable, de la puissance publique, et ici cette limite, nettement tracée par la nature des choses comme par les traditions, c’était la collation des grades. À vrai dire, c’était la chose essentielle dans la loi, c’est le point autour duquel s’est livrée la bataille la plus sérieuse et la plus décisive. Tout a fini par une transaction, dira-t-on, un biais a été heureusement trouvé. Les facultés libres ne donnent pas des grades, elles ne font pas des avocats, des médecins ou des ingénieurs ; elles seront de moitié dans un jury mixte d’examen, les professeurs libres concourront avec les professeurs officiels dans la distribution des diplômes. Il n’est