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savans, suscite le grand art comme à Athènes, enfin, par l’enseignement obligatoire et le service obligatoire, il s’empare des jeunes générations pour leur développer les forces du corps et de l’esprit. Un demi-siècle écoulé, lequel des deux peuples sera le plus civilisé, le plus riche, le plus puissant ? En Belgique, l’état, en construisant les chemins de fer dès 1833, assurait l’existence économique du pays par le développement de l’industrie malgré la séparation de la Hollande, qui lui enlevait son principal débouché. C’est de la même façon qu’aujourd’hui l’Italie cimente l’unité nationale et que la Russie prépare sa grandeur future. L’état a donc une double mission à remplir. La première, que nul ne lui conteste, mais dont peu de personnes comprennent toute la portée, consiste à faire régner dans la société l’ordre et le droit, c’est-à-dire à édicter des lois aussi conformes à la justice distributive que le permet l’avancement de la culture sociale. La seconde consiste à faire, au moyen des ressources prélevées proportionnellement sur chacun, tout ce qui est indispensable au progrès, quand l’initiative privée n’y suffit pas.

Un incontestable mérite des nouveaux économistes, c’est d’aborder l’étude de la question sociale dans un vrai sentiment de charité chrétienne, mais en même temps dans un esprit rigoureusement scientifique, s’appuyant toujours sur les faits de la statistique et de l’histoire et se préservant ainsi des entraînemens de l’utopie. Pour combattre les socialistes, Bastiat et toute son école ont soutenu la théorie de l’harmonie naturelle des intérêts et se sont trouvés ainsi amenés à nier l’existence même du problème. C’est une dangereuse erreur. La question sociale, il est vrai, date de loin ; elle naît dès que, la propriété foncière cessant d’être collective, l’inégalité des conditions s’établit. C’est elle qui trouble les républiques grecques et qui les précipite vers leur ruine ; c’est elle qui agite la république romaine malgré le palliatif sans cesse et vainement renouvelé des lois agraires. Elle reparaît dans les communes du moyen âge aussitôt que l’industrie s’y développe, et plus tard, quand la réforme apporte aux hommes l’affranchissement religieux et quand la révolution française proclame la doctrine de l’égalité et de la fraternité ; mais aujourd’hui elle présente un caractère de gravité et de généralité qui en impose l’étude aux hommes d’état, aux publicistes et aux économistes surtout, car il s’agit de sauver la civilisation, mise en péril par les revendications des classes ouvrières. Parmi les causes principales des grandes évolutions de l’histoire, vous trouvez toujours les intérêts économiques, — vérité que Napoléon exprimait d’une façon brutale quand il disait : « C’est le ventre qui fait les révolutions. » Les nouveaux économistes sont amenés à publier un