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dans le concert de l’humanité[1]. C’est du moins à ce point de vue que l’économie politique s’est placée en Allemagne, surtout depuis List ; aussi l’y appelle-t-on assez généralement National-œkonomie.

Je pense aussi que les anciens économistes ont trop voulu réduire le rôle de l’état. Quand on songe à tout le mal que les mauvais gouvernemens ont fait au peuple, en France surtout, on comprend le désir de réduire leur pouvoir et de restreindre leurs attributions ; mais l’école du laissez-faire, dans ses théories du moins, a dépassé la mesure, et les pays qui suivraient absolument ses conseils auraient eu lieu de s’en repentir, car ils seraient dépassés par les autres. L’Angleterre s’en est aperçue, et ce pays, modèle du self-government, loin de persévérer dans la voie recommandée par les économistes, accorde chaque année des attributions nouvelles à l’état, qui déjà maintenant intervient dans les contrats de l’industrie et de l’agriculture avec un détail et des prescriptions qui seraient difficilement admis ailleurs. La Prusse tout entière, son territoire, sa force militaire, son agriculture, son industrie, sa religion, son instruction à tous les degrés, cette source principale de sa puissance, tout est l’œuvre de l’état. La Prusse, c’était jadis les sables du marquis de Brandebourg, dont se moquaient Voltaire et Frédéric II, aujourd’hui c’est l’empire d’Allemagne. Il y a quelques années, un président de la Nouvelle-Grenade, en arrivant au fauteuil, imbu des pures doctrines économiques, annonça que « désormais l’état, ramené à son véritable rôle, laisserait tout à l’initiative individuelle. » Les économistes d’applaudir. Au bout de peu de temps, les routes étaient rompues, les ports envahis, la sécurité anéantie, l’instruction aux mains des moines, c’est-à-dire réduite à rien. C’était le retour à l’état naturel et à la forêt primitive. En Turquie et en Grèce, l’état ne fait rien, les caisses étant vides : il est même imprudent d’aller sur les lieux constater les bienfaits du système. Supposez à côté l’un de l’autre deux pays de force et de ressources égales : dans l’un, le gouvernement s’abstient soigneusement de toute intervention, et par suite les besoins individuels consomment tous les produits ; dans l’autre, l’état prélève sur les consommations souvent futiles ou même nuisibles des particuliers de quoi entretenir largement tous les services d’intérêt public : il ouvre des routes et des ports, construit des chemins de fer, bâtit partout des écoles, dote largement tous les établissemens scientifiques, encourage les

  1.  ? Dans un écrit publié en 1857, où j’employais déjà ce que l’on appelle la méthode nouvelle, j’essayais de montrer que les libres échangistes défendaient une cause juste avec de mauvais argumens, et une réforme utile avec des axiomes boiteux. Voyez Études historiques et critiques sur la liberté du commerce international.