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qu’au milieu de marais que l’on ne soupçonnait pas le transport d’un arbre jusqu’à la rivière, située à 100 mètres, était un problème insoluble. Ce qui s’est produit pour les terrains boisés est fréquent aussi dans la pampa : le terrain vierge dévore le troupeau et ruine le colon ; il faut être riche pour acheter les terrains à bas prix.

L’importation récente de l’élevage du mouton dans la pampa enlève nécessairement à ce genre d’industrie toute espèce d’originalité, il n’a pas le pittoresque des travaux de l’élevage des bêtes à cornes. La vie de l’éleveur est vide, celle du troupeau est sans incidens, elle se passe en plein air ; le corral où on le rentre le soir est en tout semblable aux parcs à brebis connus en France, avec cette différence qu’étant à poste fixe, le sol s’en élève avec rapidité jusqu’à former un monticule de résidus riches en azote et en ammoniaque ; c’est là une richesse encore négligée faute de moyens de transport à bas prix, et qui un jour pourra fournir à l’Europe des chargemens aussi nombreux que ceux que l’on a extraits des îles Chinchas ; pour le moment, dans ce pays où l’engrais est inutile, l’habitant n’en utilise qu’une faible partie comme combustible. Le matin, ce corral où les brebis ont passé chaudement la nuit sur un sol brûlant est ouvert, et le troupeau sort, se dirigeant de lui-même sur le point où il doit pâturer ; on le surveille à peine, assez cependant pour l’empêcher de se mêler aux troupeaux existant dans le voisinage. Si un groupe s’égare, ce qui est fréquent, et se mêle à un troupeau étranger, le propriétaire a le droit d’en exiger l’examen : on fait alors rentrer les animaux dans le corral et l’on vérifie les oreilles des 2,000 ou 3,000 brebis qui s’y trouvent renfermées ; c’est en effet à l’oreille que l’agneau a reçu la marque de propriété ; les animaux étrangers sont pris par le pied et mis à part.

Au printemps, d’octobre à décembre, a lieu l’important travail de la tonte ; les bras manquent généralement, le pays étant peu peuplé, hommes et femmes sont à l’œuvre. Les moutons réunis dans une enceinte auprès d’un hangar, s’il en existe, un homme les prend un à un, et, après avoir lié le patient, le jette aux tondeurs ; ceux-ci, armés de forts ciseaux à ressort automoteur, pointus et d’un pied de long, au tranchant affilé, en moins de cinq minutes ont tourné, retourné l’animal et l’ont lâché dépouillé de sa toison, le plus souvent les chairs mises à vif par la pointe des ciseaux ; la toison, repliée en boule sur elle-même, montrant extérieurement la racine blanche des poils, est liée avec une ficelle et remise par le tondeur contre un jeton de 10 ou 20 centimes suivant le prix du jour ; les meilleurs tondeurs, généralement indigènes, se font 20 et 25 francs par jour.

Comme chez nous la moisson et la vendange, la tonte est l’occasion de fêtes de tout genre, de bals avec guitares et chants ; s’il