Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/411

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que d’y pratiquer les divisions nécessaires et de tenter l’expérience. On l’a tentée déjà en 1874, et l’expédition, ayant donné d’assez bons résultats à Marseille, eût été certainement renouvelée sur une grande échelle, si la guerre civile n’eût éclaté à Buenos-Ayres. Or le premier effet des guerres dans ce pays est l’enlèvement des chevaux : ils sont considérés comme marchandise, à ce point que les propriétaires n’ont sur eux qu’un simple droit d’usufruitier que la guerre suspend. Elle suspend naturellement aussi l’exportation des animaux sur pied et la retarde pour longtemps par la consommation excessive dont elle est l’occasion. Heureusement cette dernière insurrection a été courte, et la question se pose aujourd’hui d’une manière sérieuse ; elle doit intéresser vivement l’Europe, et sera pour la république argentine l’aurore d’une nouvelle prospérité, faisant une industrie productive de l’élève, jusqu’ici délaissée, du plus intéressant auxiliaire de l’homme.


III. — LES BÊTES A CORNES.

Ce fut en 1553, cinquante ans après les premières descentes des Espagnols sur les rives de la Plata, que deux Portugais dont l’histoire a conservé les noms, les frères Goës, amenèrent de Sainte-Catherine sur la côte du Brésil, par la route de terre, huit vaches et un taureau, souche de tout le bétail qui couvre aujourd’hui les plaines platéennes. L’homme qui avait soigné ces animaux pendant ce voyage, qui dura plus de six mois, fut récompensé par le don d’une vache ; de là le proverbe encore existant : « cher comme la vache de Goës. »

Le sol se prêtait si merveilleusement à la multiplication de ces animaux que leur nombre dépassa bien vite celui de la population, et qu’un siècle après on aurait eu plusieurs troupeaux pour le prix de la vache de Goës. La race n’a pas subi de variations. Depuis quelques années seulement, de riches propriétaires ont importé d’Angleterre des taureaux de Durham, et ont créé une race métisse fort belle qui fournit d’excellentes laitières. Ce n’est qu’aux environs de Buenos-Ayres que ces vaches sont soignées et utilement exploitées ; la production du lait, fort lucrative là comme dans le voisinage de toutes les grandes villes et principale préoccupation de l’éleveur européen, n’est nullement recherchée par l’éleveur ou estanciero de la pampa. C’est à peine si, dans une estancia riche de plusieurs milliers de vaches, on en trouverait une ou deux habituées à donner du lait et en donnant pour les besoins de l’habitation ; quant au beurre, l’usage et la fabrication en sont peu répandus, et sur la petite quantité que consomment les Européens une partie est importée du Havre et de Cherbourg ; l’estanciero fait peu ou point