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conduit de lui-même à la pulperia. C’est elle qui remplace pour lui le clocher, le club, le journal, l’intérieur, qu’il ne connaît pas. Au milieu de la campagne, près d’une habitation, s’élève une chaumière ni plus simple, ni plus luxueuse que toute autre dans la pampa, un rancho comme tous les autres, couvert de chaume, aux murs d’adobe (brique crue), mais généralement de roseaux recouverts d’un récrépissage de boue et de bouse de vache ; il y pleut à peu près comme au dehors, le soleil n’y pénètre jamais, un air chaud et humide en est l’atmosphère permanente, le sol est de terre battue ; c’est la pulperia. Devant la porte, un rang de piquets de bois dur, le palenque, où les chevaux des cliens sont réunis ; le nouvel arrivé met pied à terre et laisse là son compagnon recevoir, sellé et bridé pendant des heures et même des journées, le soleil ou la pluie, pendant que lui va, suivant son expression naïve, « satisfaire ses vices » dans la pulperia.

La porte est ouverte, ou du moins le vestibule sans porte est naturellement ouvert à tout venant ; toutefois au dedans une grille forte et sévère protège le marchand et sa marchandise contre les convoitises des cliens plus avides que fortunés. Une grande politesse règne dans ce réduit et fait contraste avec cette grille insolente : c’est un échange continuel de galanteries, que la langue espagnole fournit du reste en abondance au gauch à jeun ; mais la raison est bientôt partie. Ce sont alors des paris étranges, on propose de jouer la consommation au premier sang, on sort, on tire le couteau, et l’on se livre à un combat généralement moins homérique que ridicule. Cependant les jeux n’ont pas toujours cette sauvagerie. Les courses de chevaux y tiennent le premier rang ; presque chaque jour ce sont des défis, à la suite desquels on se lance droit devant soi jusqu’à disparaître à travers la plaine unie ; la course est courte, rapide et souvent reprise, c’est un passe-temps pour les oisifs, une occasion de paris ruineux et la préparation nécessaire aux grandes réunions, dont le pittoresque est sans égal. Près d’un village, on choisit une avenue large et unie qui se perd au milieu des prairies. Les hommes sont vêtus avec élégance ; leur costume est un mélange de vêtemens européens et d’accessoires indigènes, ils ont pris leur cheval préféré et l’ont couvert d’ornemens d’argent, étriers, mors, éperons à roulettes, avec les brides en cuir de jeune poulain finement tressé et garni de montures également en argent, et la selle si compliquée, composée des tissus de fil et des cuirs les plus fins. Leur costume est le poncho de laine de guanaque, aux tons jaunes harmonieusement fondus, le large pantalon blanc brodé descendant à mi-jambes, de grandes bottes fines, le chapeau de feutre mou, garni d’un foulard ponceau en soie de Chine.

Les femmes, à cheval aussi, n’ont, quant à elles, rien de