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animaux élevés dans cet état de demi-liberté, aussi bien que les richesses qu’ils procurent à l’éleveur, voilà ce que nous nous proposons dans cette étude.


I. — LA PAMPA, SES MOEURS ET SES HABITANS.

Celui qui a traversé les mers et contemplé l’horizon de l’Océan calme a vu la pampa. Immense, sans limites, sans variété, à peine accidentée de quelques plis de terrain plus étendus que profonds, semblables à la longue vague de l’Atlantique, elle apparaît partout comme un désert de verdure ; même dans les endroits très peuplés d’animaux, les troupeaux les plus nombreux se voient à peine, ne réalisant en rien l’idée du nombre infini que les statistiques ont laissée dans l’esprit du voyageur. Si vous sortez de Buenos-Ayres, vous la trouvez à la porte, et vous la retrouverez encore toujours semblable à elle-même à 500 lieues de là, sans arbres, sans fleuves, sans montagnes, presque sans villages. Elle n’a d’autre limite au sud que le détroit de Magellan, et à l’ouest la Cordillère ; mais la civilisation n’atteint pas là ; à 120 lieues au sud, à 80 à l’ouest, la pampa est le domaine de l’Indien, luttant sauvagement contre le colon pour lui dérober les trésors de son industrie et de son travail civilisateur en même temps que pour défendre contre lui son désert inutile, sans produits et sans abri.

Terrain d’alluvion assez récent, ce désert fertile produit exclusivement à l’état sauvage une herbe haute et dure appelée paja brava ou pampa, qui lui donne son nom. Semblable à un buisson d’ajoncs, cette plante, le gynerium argenteum des naturalistes, est très connue en Europe depuis qu’elle s’y est généralisée comme ornement des jardins, et l’on comprendra aisément que les animaux la foulent du pied avec colère, refusent de s’en nourrir, et, faute d’autre pâturage, dépérissent et meurent le plus souvent. Aussi une longue patience a-t-elle été nécessaire aux premiers qui ont importé des chevaux et des bêtes à cornes sur ce continent pour parvenir à sauver les premiers venus ; après le débarquement, il fallut recourir pendant longtemps encore aux fourrages apportés d’Europe avant de pouvoir prendre définitivement possession de ces terrains, qui dissimulaient une stérilité ruineuse sous les apparences d’une fertilité sans exemple. Les agronomes et les naturalistes sont d’accord pour déclarer que les graines fourragères qui devaient remplacer rapidement les rudes graminées indigènes furent apportées dans ces chargemens de fourrages destinés aux animaux venus avec les colonisateurs.

Avec l’occupation, il s’est peu à peu formé plusieurs zones dans la pampa ; cette transformation s’est opérée et s’opère encore