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dépenses ; il avait contracté de lourdes dettes. Le concours de quelques amis, les subsides que M. de Humboldt obtenait de son souverain pour aider le professeur de Neuchatel dans la poursuite de ses travaux, ne pouvaient suffire à l’exécution d’une énorme quantité de planches. Comme d’autres que l’absence de fortune condamne à l’abandon d’œuvres considérables et d’un caractère exceptionnel, le savant dut ressentir en son âme de poignantes agitations. Chagrin de se voir dans l’impossibilité de satisfaire les créanciers, tourmenté des réclamations, peut-être encore chargé de soucis d’un autre genre, Agassiz prêta l’oreille lorsqu’on vint lui proposer un voyage en Amérique. A l’instigation de Lyell, le célèbre géologue anglais M. John Lowell, fondateur d’un établissement d’instruction, le priait avec instance de venir à Boston faire des conférences publiques. L’invitation fut acceptée. En cette circonstance, M. de Humboldt donna de nouvelles preuves de ses sympathies et de son estime pour l’ancien élève de l’université de Munich, maintenant le naturaliste partout honoré. Il tint, croyons-nous, un beau discours au souverain qui ne perdait pas de vue la principauté de Neuchatel, et le professeur, reçut une mission scientifique. La résolution prise, Agassiz entrevoit déjà de l’autre côté de l’Atlantique d’intéressans sujets d’études. Quittant son foyer, il vient à Paris et s’installe modestement dans une maison voisine du Jardin des Plantes où ne tardent pas à le rejoindre Desor et Charles Vogt. Alors le calme régnait en France ; les passions politiques sinon éteintes, du moins silencieuses, laissaient les esprits dans le repos favorable aux conquêtes de l’intelligence. Jamais les feuilles périodiques n’avaient pris tant de soin à enregistrer les événemens scientifiques, jamais les savans étrangers n’étaient venus nous visiter en pareil nombre.

Un jour de chaque semaine, on se réunissait chez notre illustre zoologiste M. Milne Edwards. Peu de personnes se doutent de ce que fut un pareil salon durant deux hivers ; il ne ressemblait à aucun autre. Agassiz discutait avec feu sur les changemens dont la terre, ai été le théâtre, et rappelait de son séjour en Écosse de doux et charmans souvenirs ; il s’animait en exposant ses vues sur la période glaciaire et se plaisait à citer les aventures singulières de ses courses. À cette époque, les recherches sur l’organisation des animaux marins et des êtres réputés inférieurs passionnaient quelques-uns d’entre nous. Par des découvertes saisissantes, M. Milne Edwards avait montré combien l’étude approfondie des animaux invertébrés servait le progrès de la zoologie ; par son exemple, par ses conseils, il avait entraîné des investigateurs dans le champ alors mal exploré. Chaque jour, la reconnaissance de certains faits jetant de