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regrettables, où les questions d’amour-propre ont souvent plus de part que les intérêts. Les grandes compagnies devraient considérer comme des auxiliaires les entreprises qui se sont constituées à côté d’elles pour la construction de lignes dont, quelquefois à tort, elles n’ont pas voulu se charger. Quant aux chemins de fer d’intérêt local, ils sont naturellement les tributaires du grand réseau, où il est de leur intérêt de verser et de prendre les élémens de leur trafic plus modeste. Tel est exactement l’esprit de la législation, et il appartient aux pouvoirs publics de faire respecter en cette matière les attributions, les droits, la compétence de chacune des parties intéressées. Est-ce que les grandes compagnies peuvent être sérieusement inquiètes sur les résultats de la campagne qui est menée contre elles ? Il suffit de connaître les rapports financiers qui intéressent l’état à leur existence et à leur prospérité pour être convaincu de l’impuissance de ces attaques. L’intimité de ces rapports et la solidarité qui rattache la fortune publique à la fortune des compagnies sont indiquées dans une étude. complète que M. de Labry, ingénieur des ponts et chaussées, a consacrée aux traités passés entre l’état et les six compagnies organisées en 1858. On peut regretter, à certains égards, cet enchevêtrement d’intérêts et cette complication de calculs. Le vulgaire a quelque peine à se reconnaître dans ces arcanes du budget et à se rendre compte de ce que signifient l’ancien réseau, le nouveau réseau, le revenu réservé, le déversoir, la garantie d’intérêt, le partage des bénéfices ; mais ce ne sont point les profanes qui décident sur les questions de chemins de fer. Tous les gouvernemens, tous les ministres des travaux publics, toutes les commissions de budget, dont c’est le devoir de connaître ces choses, auront la volonté et l’influence nécessaires pour défendre l’intérêt des grandes compagnies, c’est-à-dire l’intérêt du trésor, contre des mesures qui compromettraient gravement le régime établi. Il convient donc à ces compagnies d’être généreuses, parce qu’elles sont incontestablement les plus fortes, et de ne point s’opposer, avec une âpreté trop jalouse, aux tentatives qui sont faites en dehors d’elles pour augmenter le parcours des voies ferrées. Un vote récent, qui a donné gain de cause à la compagnie de Picardie et Flandres contre la compagnie du Nord, ne nous paraît pas infirmer notre argumentation : ce n’est qu’un incident ; la décision, prise à une faible majorité, a été influencée par des circonstances particulières, et il a été démontré par la discussion, faisant suite à l’examen d’un projet de loi plus considérable sur le réseau de Lyon-Méditerranée, que l’assemblée n’entendait pas porter atteinte à la condition prépondérante des grandes compagnies.

Il est donc nécessaire que la bonne harmonie se rétablisse sous le contrôle de l’état, qui par les cahiers des charges est armé de la force