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Aussi M. Malezieux, au retour d’une mission en Angleterre, a-t-il pu affirmer que « d’un aveu unanime le système anglais doit aboutir à une concentration de tous les chemins de fer entre les mains de trois ou quatre compagnies, d’une seule peut-être, d’un directeur unique et omnipotent. »

On n’est donc effrayé ni en Angleterre ni aux États-Unis par la constitution prochaine de compagnies qui exploiteront, comme les nôtres, des réseaux très étendus ; on ne croit pas que l’administration de ces vastes entreprises excède les forces d’une direction unique, et l’on ne craint pas que l’intérêt du public ou l’autorité de l’état soit sacrifiée à cette organisation indirecte du monopole. Il y aurait pourtant à se préoccuper dans ces deux pays beaucoup plus sérieusement qu’en France des abus auxquels pourrait donner lieu l’omnipotence des compagnies, car les concessions n’y sont point accompagnées des clauses restrictives, des garanties de surveillance, des réserves gouvernementales ou administratives que contiennent nos cahiers des charges. Inoffensif en France, où il est réglementé et où il peut être contenu, le monopole risquerait de compromettre les intérêts généraux sous le régime plus libéral de l’Angleterre, qui repose sur le principe de la concurrence, principe que les coalitions ou les fusions multipliées des compagnies ont aujourd’hui réduit à néant ; mais, à défaut du frein de la loi ou des aiguillons de la concurrence, il reste en Angleterre le contrôle de l’opinion et le zèle intelligent des compagnies pour améliorer sans cesse le service des transports, de telle sorte que le public demeure suffisamment protégé contre les abus, et qu’il profite dans une large mesure des inventions et des progrès réalisés dans cette grande industrie.

Si la concentration a le tort d’aboutir au monopole, on ne saurait méconnaître qu’elle a pour effet certain la diminution des frais généraux, une organisation plus facile du service, l’établissement d’une correspondance plus exacte entre les différentes lignes du réseau, et par suite l’abaissement des tarifs. En outre, les taxes décroissant d’ordinaire avec les distances, on comprend que plus le parcours d’une même compagnie est étendu, plus il y a matière à réduction de taxes. C’est ainsi que nous avons obtenu en France des tarifs qui sont généralement moins élevés qu’en Angleterre, sans compter une sécurité plus rassurante pour les voyageurs, avantage qui mérite bien d’être apprécié.

Est-ce à dire pourtant qu’il faille pratiquer systématiquement et d’une manière absolue la concentration des lignes dans chacune des régions entre lesquelles se partage le réseau ? Cela serait impossible, et c’est ce qui n’a pas été fait, puisque l’on compte