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l’industrie des transports dans chaque région de la France, ne craint-on pas de créer des influences exorbitantes, des forces anormales, qui deviendraient périlleuses contre l’intérêt du service public et contre la souveraineté de l’état ? Ces objections ont été reproduites dans le cours des débats récens devant l’assemblée nationale et elles ont dû certainement frapper beaucoup d’esprits.

Il suffirait de répondre, quant à l’impossibilité prétendue de régir un si vaste domaine, que dans plusieurs pays, en Belgique, en Prusse, la presque totalité des chemins de fer est administrée par une direction unique, qui est celle de l’état. Cette objection purement matérielle ne s’est pas davantage présentée lorsque l’on a discuté, soit en France, soit en Angleterre, la question de savoir si l’on ne devait pas opérer le rachat de toutes les voies ferrées pour les placer sous la régie exclusive du gouvernement. Enfin il existe, en dehors des chemins de fer, certains services publics, tels que les postes, les télégraphes, les douanes, les contributions, qui, malgré la multiplicité des intérêts qu’ils traitent et le nombre considérable de leur personnel, sont confiés à une direction unique. Que ce soit l’état qui administre ou que ce soit une compagnie, l’administration sera bonne ou mauvaise selon que la répartition du travail sera bien ou mal établie, selon le choix du personnel. Pour citer un exemple historique, le meilleur service de postes qui ait existé en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles était le service de La Tour et Taxis, que l’on peut assimiler à une entreprise particulière et dont les courriers traversant l’Allemagne reliaient les Pays-Bas à l’Italie à une époque où certes les communications régulières offraient de grandes difficultés. En pareilles matières, tout dépend de l’organisation. Les compagnies de chemins de fer ont aujourd’hui des règles et des traditions qui se prêtent à l’exploitation la plus étendue. L’objection est donc superficielle ; les gros chiffres que l’on fait mouvoir à l’appui sont sans valeur pour le raisonnement. Avec une organisation bien entendue, avec de l’ordre et de la discipline, une compagnie est en mesure d’administrer utilement des milliers de kilomètres.

En examinant ce qui se passe à l’étranger, l’on observe que ni les Anglais ni les Américains ne s’arrêtent à cette difficulté, qui leur paraît secondaire, ni au péril que l’on attribue en France à l’omnipotence présumée des compagnies. Par une coïncidence singulière, alors que l’on commence à critiquer parmi nous le système des fusions et que, pour les concessions faites durant ces dernières années, le gouvernement s’est fréquemment écarté du principe contenu dans les lois de 1858, il arrive qu’aux États-Unis et en Angleterre les combinaisons fusionistes sont de plus en plus à l’ordre du jour.