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récriminations ne seraient-elles pas plutôt permises aux compagnies de chemins de fer, qui voient les tarifs des canaux appartenant à l’état s’abaisser à un taux presque nominal, et qui, pour défendre leur trafic et pour soutenir la lutte, doivent appliquer des taxes extrêmement réduites ? L’état, consultant l’intérêt public, ne fait qu’user de son droit ; il n’en est pas moins vrai que les compagnies seules peuvent en souffrir. Quant à l’argument que l’on tire de la concession simultanée des chemins de fer du Midi et du canal latéral à la Garonne, concession qui a subordonné le canal au chemin de fer, il ne saurait être sérieusement invoqué. Les populations intéressées désiraient avant tout avoir le chemin de fer ; elles demandaient même que les rails fussent posés dans le lit du canal mis à sec. Le gouvernement a jugé avec raison qu’il convenait de garder les deux voies de transport, et il a organisé la concession, il a réglé les tarifs de manière à les rendre l’une et l’autre possibles et utiles.

Au surplus cette concurrence que les voies ferrées font aux canaux et cette concentration d’un chemin de fer et d’un canal dans les mêmes mains ne sont point des faits exceptionnels qui découlent du système français. La même concurrence, la même concentration, les mêmes résultats se sont produits, à un degré beaucoup plus grand, en Amérique et en Angleterre. « Aux États-Unis, dit M. Malezieux, la plupart des canaux qui furent construits de 1825 à 1840 ont été achetés par des compagnies de chemins de fer. » En Angleterre, le parlement avait d’abord refusé son approbation à l’achat des canaux par les compagnies concessionnaires des voies ferrées ; il voyait un péril dans la suppression de la concurrence entre ces deux entreprises également libres, dont les intérêts et les efforts semblaient devoir être maintenus en lutte dans l’intérêt du public. La force des choses l’a emporté. Il y a eu d’abord des traités illicites entre les prétendus concurrens ; bientôt les canaux sont venus eux-mêmes supplier le parlement d’autoriser les contrats de vente, et finalement voici où en est aujourd’hui, d’après M. de Franqueville, la situation respective des chemins de fer et des canaux : « sur 6,670 kilomètres de canaux, 2,769, soit environ les deux cinquièmes, sont légalement et ouvertement entre les mains des compagnies de chemins de fer, sans parler des compagnies soi-disant indépendantes qui se trouvent, d’une façon plus ou moins directe, sous leur influence ou qui par des traités secrets reçoivent à certaines conditions une garantie de profits annuels, grâce à laquelle cesse toute compétition. » Ainsi en Angleterre et aux États-Unis, pays de concurrence, les chemins de fer en sont venus à s’annexer une bonne partie des canaux, tandis qu’en France on ne peut