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compte de la configuration physique des divers pays. Par exemple la Belgique, pays plat, offre des facilités particulières pour la pose des voies ferrées, et elle figure nécessairement en tête de la liste. De même, si l’on considère le rapport entre le nombre de kilomètres et le chiffre de la population, il importe de savoir comment cette population est répartie. Quand la population est plus agglomérée, quand il y a plus de grandes villes, plus de grands centres industriels, on conçoit que les chemins de fer appelés à desservir des intérêts collectifs soient plus nombreux. Aussi est-ce en Angleterre et en Belgique que l’on constate le plus grand nombre de chemins de fer par rapport à la population. Par conséquent, tous ces argumens statistiques à l’aide desquels on s’applique à démontrer l’infériorité de la France en matière de chemins de fer sont sans portée. Lorsque l’on veut établir des comparaisons exactes, il ne faut prendre que des élémens qui soient comparables. La France avec ses régions montagneuses et avec sa population clair-semée ne saurait être comparée avec la Belgique ou avec l’Angleterre, dont le territoire est uni et dont la population est beaucoup plus dense. La statistique est donc mal à propos invoquée dans cette question ; l’on doit s’en défier.

Ce n’est pas tout : additionner purement et simplement le nombre des kilomètres exploités pour en conclure que tel pays est plus ou moins bien desservi par les chemins de fer, c’est une façon très imparfaite de raisonner. L’essentiel est de savoir si les lignes sont tracées de manière à rendre le plus de services à l’ensemble du pays. L’Angleterre possède par rapport à la population le plus grand nombre de kilomètres ; mais, avec le régime de la concurrence, elle a beaucoup de lignes qui suivent à peu près le même parcours et qui font en réalité double emploi. Le pays, au point de vue de la facilité des communications, retire-t-il un plus grand avantage de cette multiplicité de rails partant d’un même point et aboutissant à un même point ? Il n’en est rien. Supposons qu’au lieu d’une seule ligne, reconnue jusqu’ici suffisante, entre Paris et Orléans, entre Paris et Lille, il y ait deux ou trois lignes, le total des kilomètres dans la statistique du réseau national se trouverait augmenté sans que l’intérêt général des communications y eût le moindre profit, et l’on aurait fait la dépense de deux ou trois lignes alors qu’une seule ligne peut effectuer tous les transports. C’est précisément la faute qui a été commise en Angleterre, faute que les Anglais avouent eux-mêmes, et c’est ainsi que le chiffre de leurs kilomètres s’est élevé si rapidement. Ils ont prodigué, gaspillé, un capital qui aurait pu recevoir un meilleur emploi soit dans d’autres branches d’industrie, soit dans la construction des voies ferrées d’ordre secondaire.