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qui s’écoule en hiver provient seulement des sources ; on avait de curieuses observations thermométriques, la preuve que la température de la neige, loin d’être constante, est fortement influencée par la température de l’air jusqu’à une profondeur considérable.

Après quelques heures de marche, les deux naturalistes sentirent diminuer les douleurs qu’ils éprouvaient au visage ; à Guttanen, ils allèrent faire visite au pasteur de l’endroit, qui prenait un vif intérêt aux courses des Neuchatelois. Aux environs du village, la neige, très épaisse les jours précédens, avait disparu sur plusieurs points ; le fœhn avait soufflé. Vent du midi ayant parfois des effets désastreux, le fœhn qui règne dans les Alpes n’a pas encore laissé les météorologistes deviner son origine. Voyant le beau temps, Agassiz prit la résolution de se rendre le lendemain au glacier de Rosenlaui. Il s’agissait de confirmer les résultats de la veille et d’y ajouter. Au glacier de l’Aar, il avait été impossible de voir la tranche terminale et de pénétrer sous la voûte afin de reconnaître si réellement aucune fusion ne s’opère à la base de la masse de glace ; le Rosenlaui promettait d’être plus propice. D’ailleurs l’idée d’une expérience démonstrative revenait sans cesse à l’esprit de l’investigateur : prouver d’une manière directe que seuls les glaciers polissent le fond et les parois de leur lit. On inégaliserait la roche sur un certain espace paraissant devoir être bientôt envahi par le glacier, et l’on jugerait de l’action le jour où il aurait abandonné la place ; s’il tardait trop à se retirer, à coups de pioche, on découvrirait la surface. Le glacier de Rosenlaui, reposant sur un calcaire infiniment moins dur que les roches cristallines qui supportent la plupart des autres glaciers, se trouvait indiqué pour l’expérience. En vue de l’exécution du projet, on emporta tous les instrumens nécessaires à l’opération.

La vallée de Reichenbach disparaissait sous la neige ; si fréquenté pendant la belle saison, le Gœnsestrich était désert et silencieux. Le gœnsestrich, la route des oies, ainsi s’appellent les chemins suivis par les touristes dans le langage des naturalistes de la Suisse allemande, qui prennent fort en pitié les gens de toute nation, courant, grimpant, roulant sans poursuivre un but sérieux. Vers onze heures, Agassiz et Desor atteignent l’auberge, — inhabitée l’hiver, elle n’était d’aucune ressource ; les deux explorateurs s’assirent près d’un petit ruisseau et dînèrent sur le tapis de neige. Impatiens de voir le glacier, ils cherchent comment l’aborder ; rien ne décèle les inégalités du sol. Une grande crevasse où l’été bouillonne le torrent du glacier est elle-même cachée en maints endroits. En traversant le pont, Desor ayant trébuché tomba sur la couche de neige qui masquait le gouffre ; par bonheur, la voûte ne