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cour impériale ; mais ces causes agissaient lentement, elles n’eussent produit leurs effets qu’après des siècles sans l’événement qui vint brusquement changer la face de toutes choses au Japon, l’arrivée des étrangers. Jusque-là, dans l’empire fermé, chacun avait occupé sa place et rempli sa fonction sans qu’il fût bien facile ou bien urgent de délimiter la compétence respective de chacun, ni de décider qui avait qualité pour représenter l’état. Dès les premiers traités demandés par les étrangers, il fallut trancher la question : à qui appartenait le droit de les signer ? Le shogoun prit sur lui de le faire sans le consentement du mikado ; mais cette mesure, qualifiée d’usurpation de pouvoirs par l’école historique de Mito, fut le point de départ d’une agitation extraordinaire qui ébranla le trône séculier jusqu’en ses fondemens. Il devenait évident que le shogoun, délégataire d’un pouvoir limité à l’administration du pays, n’était plus rien en présence des nations étrangères, et que le seul gouvernement muni de la plénitude de la souveraineté était celui de Kioto.

La scission qui se fit alors flans l’aristocratie entre les partisans du mikado restauré et ceux du shogounat vint hâter les progrès de sa décrépitude, et bientôt tous les petits dynastes durent s’incliner devant la supériorité d’un triumvirat formé par les plus riches d’entre eux, Satzuma, Tosa, Nagato, et appuyé sur le prestige moral du descendant des dieux. Ces trois derniers, fondateurs et patrons de l’ordre de choses nouveau, sont restés pendant longtemps ses tuteurs nécessaires, et si la direction leur échappe progressivement, nul ne peut dire ce qui adviendra d’une lutte ouverte entre les princes encore indépendans et le monarque encore militairement isolé.

Toutes ces raisons, si elles justifient la chute de l’aristocratie, n’expliquent guère la résignation avec laquelle l’ancienne noblesse, acceptant sa déchéance, s’est retirée de la soène politique. Ni le fanatisme oriental, ni la soumission passive n’en donnent la raison. Il faut, pour comprendre cette abnégation, se souvenir des lourdes, charges qui pesaient sur les seigneurs et songer que leurs revenus immenses suffisaient à peine à couvrir leurs dépenses et rarement à satisfaire leurs fantaisies. En leur proposant d’échanger leurs rentes contre des pensions plus modiques, le gouvernement payait leurs dettes énormes, les débarrassait de l’entretien d’une armée et d’une cour, des corvées de la vie officielle, d’un pouvoir devenu un fardeau, et leur permettait de vivre comme de riches particuliers sans soucis et sans dangers. Si l’abdication volontaire est possible à qui commande en maître, combien plus elle doit être facile à qui n’a gardé de la puissance que le poids et les chagrins ! La lassitude et le découragement ont fait ici, dans l’ordre politique, ce que le patriotisme et l’élan des esprits firent,