Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adage dit : « La fortune du père est celle du fils, et les liens de celui-ci sont ceux de celui-là. » Sous l’empire de nos lois démocratiques, nous ne voyons guère dans la famille qu’un centre d’affections et d’intimité : sous le rapport des intérêts, le code lui-même crée l’antagonisme entre les parens les plus proches ; ici au contraire l’individu disparaît et s’oublie volontiers pour ne songer qu’à la prospérité de ce groupe auquel tout le rattache, par lequel seul il existe, et qui représente à la fois pour lui le foyer, l’autorité, la possession et la patrie.

Mais ce petit état ne peut vivre sans son chef. Despotique par essence, il lui faut une tête pour assurer son existence légale. Qu’adviendrait-il, si le chef mourait sans descendant ? La dispersion du bien commun, la rupture du lien qui réunit tous les membres ; pis encore, le gouvernement reprendrait la pension du samouraï, le prince reprendrait le droit de culture concédé au cultivateur ; enfin, chose plus grave encore qu’elle ne l’était à Rome, il ne resterait plus personne pour faire aux ancêtres, à certains jours consacrés, les libations qui doivent apaiser leurs mânes. De là cette idée enracinée au cœur de la nation, que le nom d’une famille ne peut pas périr, qu’un chef de famille ne peut pas mourir sans un continuateur. L’adoption sous ses nombreuses formes doit assurer cette perpétuité ; c’est l’institution entre vifs d’un héritier « nécessaire, » moyen plus sûr encore que la substitution romaine.

Pratiquée dès les temps les plus anciens, faiblement encouragée par Yéyas, défendue, puis rétablie sous ses successeurs, l’adoption est très répandue au Japon, où elle n’a rien du caractère de bienfaisance que nous lui prêtons d’ordinaire. Elle est commandée, non par l’intérêt de l’adopté, mais par celui de la famille adoptante, et remplace plusieurs institutions du droit civil (testament, donation, succession, contrat de mariage). On en distingue plusieurs espèces. Dans ses effets, l’adoption japonaise est une imitation parfaite de la nature. L’enfant adoptif entre dans la nouvelle famille et y contracte des liens de parenté rigoureusement semblables à des liens naturels, de sorte qu’il a deux pères, deux mères, etc… Il quitte, il est vrai, sa famille originaire au point de vue du droit civil et tombe sous la puissance de son nouveau père, mais tout en restant soumis à toutes les obligations filiales envers l’ancien. Il prend le nom du père adoptif, son rang, son titre, ses armes et son hérédité présomptive, a besoin, pour se marier, du consentement de ses deux familles à la fois, et doit nourrir l’une et l’autre aussitôt que, devenu chef, il a la disposition des biens. Lorsque par le décès du père adoptif le fils recueille l’héritage, il se fait un revirement dans les rapports de parenté. Jusque-là il avait porté le deuil de ses parens adoptifs moitié moins longtemps que celui de ses parens naturels ; à partir