Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assistance très efficace aux explorateurs des glaciers de l’Oberland ; au mois de janvier, il vint à Neuchatel. Sans perdre une minute, Agassiz parle de sa résolution, et longuement il expose les motifs qui l’ont dictée. Le compagnon des courses de la belle saison reste ébahi ; il s’efforce de dissuader l’intrépide savant d’une entreprise aussi téméraire, peut-être impossible à réaliser. Agassiz est inébranlable ; l’ami promet alors de donner un concours actif et même d’aller avec les voyageurs jusqu’à l’hospice du Grimsel, — il tenait à ne céder à personne en fait de courage. Des pluies abondantes empêchent le départ au mois de février, mais aux premiers jours de mars le ciel devient d’une sérénité parfaite et l’air froid ; Agassiz et Desor se mettent en route. A Berne et à Thoune, annonçant qu’ils se rendent au glacier de l’Aar, on sourit ; personne ne veut les croire. Sur une barque, les deux naturalistes traversent le lac de Thoune ; doucement balancés, ils trouvent le ciel ravissant, la surface de l’eau toute miroitante, jolie au possible, le spectacle des montagnes reflétées dans le lac plein de grandeur, enfin la nature adorable ; il y avait dans ces têtes-là un peu d’exaltation. A l’endroit oui l’on débarque, à Neuhaus, si encombré pendant les mois de juillet et d’août de voitures pour les touristes, courant effarés à la recherche d’une place, la solitude est complète. A Interlaken, si bruyant en été, le silence règne ; les grands hôtels abandonnés sont presque enfouis dans la neige. Sur le lac de Brienz, les voyageurs éprouvent le même charme que sur le lac de Thoune. Le Giessbach est muet ; au lieu de la cascade, c’est une rangée d’énormes glaçons qui descendent du rocher dans le lac, pareils à de gigantesques tuyaux d’orgue. A peine Agassiz et Desor touchent-ils à Brienz ; sans perdre un instant, ils sont à Meiringen. Dès le soir, on fait les préparatifs pour l’ascension du Grimsel, et au matin, lorsque six heures sonnent, les explorateurs se mettent en marche, accompagnés de l’intendant, qui s’était engagé à se joindre à l’expédition. En chemin, on prend les deux guides les plus éprouvés ; Agassiz tient encore à faire visite à un ancien gouverneur de l’hospice du Grimsel, renommé dans le pays pour sa connaissance du temps. Le vieux montagnard, bien étonné, déclare qu’on peut compter sur deux jours de ciel pur, tout en laissant apercevoir sa pensée que les savans ont l’esprit un peu dérangé. « Au sommet de la montagne, dit-il, verra-t-on autre chose que de la neige ? Il n’en manque certes pas autour de la maison. »

Au départ, on chemine sans beaucoup d’efforts ; seules des avalanches de neige ayant l’apparence d’énormes pelotes rendent quelques passages difficiles. L’Aar, que suivent les explorateurs, est dans cette saison un simple ruisseau ; des ponts de neige le