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IV

Les années 1867-1870 seront marquées dans l’histoire du Japon par deux péripéties importantes que l’on confond souvent. Le mikado, après avoir renversé le shogoun, a repris l’exercice direct du pouvoir, et du même coup le gouvernement central a déposé l’aristocratie indépendante et repris l’administration du pays. Le descendant de Yéyas n’a pas même essayé de conserver un commandement déserté par la noblesse qui devait le soutenir ; celle-ci s’est résignée sans trop de murmures à résilier une autorité qu’elle ne savait plus exercer. Quelques résistances locales, quelques batailles gagnées d’avance, ont donné au coup d’état la consécration de la victoire et le facile prestige de la clémence. Une nouvelle puissance s’est substituée à l’ancienne ; une révolution qui semblait de nature à bouleverser l’état de fond en comble s’est accomplie sans tumulte, et de cette savante constitution que nous avons étudiée il n’est plus resté que des ruines. Quelles circonstances ont amené la catastrophe ? Pourquoi cette féodalité, qui semblait si solidement liée au sol, en a-t-elle été détachée soudainement et sans bruit, comme ces îlots de verdure que les grands fleuves d’Amérique rongent en silence et emportent sourdement en une nuit ? Et d’ailleurs sa disparition est-elle complète, n’en subsiste-t-il pas des débris ? Que peut-on faire encore de ces élémens épars, et quelle est la tâche de l’avenir ? Ce sont là des questions auxquelles nous essaierons de répondre. D’abord quelles sont les institutions du moyen âge japonais qui ont survécu au désastre ? Nous les rencontrerons dans le droit privé.

Les perturbations politiques, si complètes qu’elles soient, ne changent pas en un jour l’esprit d’une nation ni l’état de ses mœurs. Au-dessous des formes variables de gouvernement, il subsiste un élément immobile, comparable à ces couches profondes que ne troublent pas les agitations de la surface. Au régime disparu survit la société civile qui le portait et lui servait de substratum ; il ne dépend pas du régime nouveau de la transformer à son tour d’un coup de baguette. C’est une œuvre qui réclame avant tout le secours du temps. La constitution de la famille, de la propriété, de la corporation, de la commune, reste sensiblement la même, et c’est poursuivre une entreprise chimérique que de vouloir la renouveler sans tenir compte des coutumes établies, des sentimens régnans, des préjugés séculaires. Le législateur ne doit jamais toucher que d’une main timide à ces lois civiles où une nation dépose ses aspirations et ses croyances. En cette matière, toute réforme est fatale qui n’est point accompagnée d’un changement parallèle dans la direction des esprits.