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« Article 45. — Les samouraï sont les maîtres des quatre classes. Agriculteurs, artisans et marchands ne doivent pas se conduire envers eux d’une façon grossière. Par cette expression, on doit entendre une façon autre que celle à laquelle on s’attend de la part de quelqu’un ; un samouraï ne dort pas hésiter à trancher la tête à un manant qui s’est conduit envers lui d’une façon autre que celle qu’il attendait. »


Le souvenir de ce terrible article est resté encore vivant malgré l’abrogation. Eût-il cent fois raison, un homme du peuple, un portefaix par exemple, ne discute jamais avec un officier ; il se prosterne en déclarant qu’il a complètement tort, mais qu’il supplie l’autre, uniquement par générosité, de lui accorder la chose demandée, vu qu’il est chargé de famille. Malheur au brutal qui se laisserait aller à lever la main ; il aurait l’humiliation de s’entendre dire « merci » par un homme à genoux. Si absolu qu’il soit en théorie, ce despotisme des privilégiés est tempéré par une grande douceur de manières au moins chez les nobles d’ancienne race. Traiter les inférieurs avec politesse et bonté est en tous lieux une des vertus aristocratiques dont le secret n’appartient pas aux parvenus.

Ces deux enseignemens d’une si haute portée sociale, l’obéissance du faible, la bienveillance des forts, prennent la première place dans l’éducation publique, et l’on sait que nulle part elle n’est plus répandue qu’au Japon ; mais là comme ailleurs se retrouve la division infranchissable entre patriciens et plébéiens. Tandis que ces derniers ne recevaient qu’une instruction primaire, n’apprenaient que l’écriture courante et quelques préceptes de morale, les premiers seuls, outre les différens exercices du corps, pouvaient être initiés par les bonzes aux mystères de l’écriture chinoise et de la littérature sacrée et profane. Nul ne pouvait nourrir l’espoir de s’élever de l’une à l’autre caste, fût-ce même par un mérite extraordinaire. Les médecins des bourgs qui faisaient partie du peuple ne pouvaient recevoir de terres à titre de récompenses, si merveilleuses que fussent leurs cures, a de peur, dit la loi, que, possesseurs d’un bien foncier, ils ne deviennent négligens dans leurs fonctions, » mais en réalité de peur d’entretenir chez eux et chez d’autres l’ambition déraisonnable de s’anoblir, — périlleuse profession d’ailleurs dont le moindre inconvénient était de goûter tous les remèdes avant de les présenter à un daïmio. Cette aristocratie veut se clore, se fermer, elle en subira un jour les conséquences.


III

On sait quelle organisation puissante et solide avait reçue la société japonaise. Dans ce mécanisme, tout a sa place marquée ; chaque