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On se levait tôt à l’hôtel des Neuchatelois ; sur le coup de quatre heures, il fallait être debout. L’instant de la toilette semblait un peu dur, l’eau vraiment trop fraîche procurait un léger frisson, mais bien vite on ne songeait plus qu’à poursuivre les recherches. Agassiz entreprend de faire pratiquer des trous ; rebelle à l’instrument de forage, la glace ne fut entamée qu’avec de grandes difficultés. Pendant que l’opération s’exécute, Charles Vogt examine la neige rouge, dont la singulière teinte est due à la présence de myriades d’êtres microscopiques ; il découvre plusieurs espèces d’infusoires et un joli rotifère semant la neige de ses œufs couleur de pourpre[1]. Les trous creusés, le professeur de Neuchatel s’assure qu’à la profondeur de 3 mètres règne une température constante[2] ; plus tard, il fera planter dans ces mêmes trous de longues perches qui serviront à déterminer le mouvement du glacier. Desor ayant tracé le panorama qui s’offre à la vue sur le glacier de l’Aar, on apprend que la plupart des cimes n’ont encore reçu aucune désignation particulière ; les investigateurs s’empressent d’y pourvoir ; — désormais les noms des plus célèbres géologues de la Suisse serviront à signaler les pics oubliés[3]. Les journées étaient occupées en observations sur les traces d’anciens glaciers à des niveaux très supérieurs à celui des glaciers actuels, sur le caractère et le déplacement des moraines, sur la structure de la glace et du névé, sur l’influence des vents, du soleil et du brouillard. Au soir, après avoir donné satisfaction à des appétits aiguisés par les courses et l’air vif, on s’endormait au milieu d’un profond silence ; avec le froid de la nuit, les ruisseaux cessant de couler, s’éteignait tout bruit de cascades.

Dans l’Oberland, on entendit bientôt parler de l’établissement d’un genre si nouveau ; plusieurs personnes, prises du désir de visiter l’hôtel des Neuchatelois, vinrent surprendre les investigateurs. Sans avertir, Mme Agassiz fit l’ascension avec son jeune fils ; allant au Grimsel accompagné d’un de ses élèves, notre éminent géologue M. Daubrée, alors professeur à la faculté des sciences de Strasbourg, informé du séjour d’Agassiz, s’y rendit au plus vite ; il reçut l’hospitalité dans la cabane de pierre. Le naturaliste de Neuchatel ne quitta la place que pour continuer ses travaux sur d’autres théâtres. Il gagna le passage redouté de la Strahleck[4] en traversant

  1. Philodina roseola.
  2. — 1/3, tandis que souvent, près de la surface qui subit l’action des agens atmosphériques, le thermomètre reste à zéro.
  3. Les noms donnés par les naturalistes de l’hôtel des Neuchatelois, Scheuchzerhorn, Hügihorn, Studerhorn, Agassishorn, etc., sont maintenant inscrits dans tous les guides.
  4. On écrit aussi Strahlegg.