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privilégiées avec le peuple ? Comment le droit politique se trouvait-il reflété dans les coutumes privées ? Qu’était-ce en un mot que la société japonaise, qu’en reste-t-il et qu’en peut-on faire ? Telles sont les questions auxquelles, après plusieurs années d’observation attentive, nous essaierons de répondre sans nous flatter de les trancher définitivement.


I

En dehors des temps fabuleux qui dépassent toutes les chronologies connues, l’histoire du Japon se divise en deux périodes que les Japonais appellent l’une oskei, et l’autre hanhei. La première s’étend depuis 660 avant Jésus-Christ jusqu’à 1192 après ; c’est celle pendant laquelle s’exerça le pouvoir des mikados. La seconde, commencée en 1192, ne s’est terminée qu’en 1868 ; elle correspond au pouvoir des shogoun ou commandans militaires, que les Européens se sont obstinés à désigner depuis longtemps par l’expression impropre de taïkoun. il s’en faut bien que cette date de 1192 marque un changement brusque opéré dans les institutions du pays ; elle n’a été choisie, comme celle qui marque chez nous la fin du moyen âge, que pour indiquer le point culminant d’une transition lente, poursuivie à travers les siècles. C’est seulement au commencement du XVIIe siècle, avec Yéyas, que le shogounat devint une institution légale et incontestée. Au point de vue particulier qui nous occupe, ce qu’il importe d’étudier dans la première période, c’est l’origine du pouvoir impérial, ses moyens de conservation et aussi ses élémens de faiblesse et de dissolution.

Les conquérans, Malais ou Chinois, qui au début de l’époque historique s’emparèrent du sol semblent s’y être établis en maîtres exclusifs sans se mêler à la population aborigène des Yessos ou Aïnos, qui recula devant eux. Leurs chefs, les mikados, étaient avant tout des chefs militaires ; leur pouvoir conserva quelque force tant qu’ils eurent à combattre vers l’est les habitans primitifs. C’est pendant cette période qu’on essaya, sans y parvenir, d’extirper l’odieuse coutume d’enterrer les vivans avec les morts ; plus tard on remplaça ces victimes humaines par des images de bois. Ce pouvoir des mikados dut s’affaiblir dès que la conquête achevée le rendit inutile et à charge aux vainqueurs, et c’est alors qu’il revêtit le caractère religieux. On vit apparaître le sintoïsme, — culte des kamis ou génies protecteurs, dont le souverain est le descendant charnel, — et le mythe du glaive, du miroir et du sceau remis par Zenshio-Daijin à ses héritiers mortels. La théocratie sintoïste remplace l’autorité militaire, elle dut bientôt elle-même céder le pas au bouddhisme (600 ans après Jésus-Christ).