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d’Anahuac ont été visitées et décrites bien des fois, surtout dans ces vingt dernières années, en revanche la région occidentale, délaissée par les voyageurs, est restée dans l’ombre. Rarement un simple touriste se décide à traverser le pays, comme l’a fait M. John Lewis Geiger dans l’hiver de 1873-1874, de la côte qui regarde le Pacifique jusqu’au rivage que baignent les eaux du golfe. L’insalubrité du climat, l’absence de routes praticables et surtout l’insécurité permanente de celles qui existent sont des obstacles qu’on n’affronte pas volontiers. Pourtant le voyage a de quoi satisfaire la curiosité de ceux qui dédaignent les chemins battus et les pays déflorés par la foule affairée des railways. Des sites merveilleux, — M. Geiger en a fait photographier plusieurs pour en embellir sa relation de voyage, — des scènes de mœurs pittoresques, des spectacles bien propres à intéresser le géologue aussi bien que l’économiste, se rencontrent à chaque pas.

L’impression qui se renouvelle sans cesse, c’est le contraste que forment l’inépuisable richesse du sol et les facilités naturelles que la conformation des côtes offre au commerce avec l’indolence et l’incurie absolue des habitans. Certes il faut tenir compte des influences débilitantes d’un climat tropical. La chaleur qui règne dans la baie de Manzanillo par exemple, baie qui sert de port à la ville de Colima, est passée en proverbe. Un soldat de Manzanillo qui, après avoir mal vécu, fut envoyé en enfer, revint quelques jours après sa mort, disent les gens du pays, pour demander à sa femme une couverture de laine : il avait peur de s’enrhumer en son nouveau séjour. Pourtant ce climat torride n’empêche pas des négocians européens de faire un actif commerce d’importation ; seulement il est impossible d’obtenir les plus simples travaux qui auraient pour effet d’améliorer l’hygiène ou de faciliter les communications. Ainsi derrière les collines qui entourent la baie circulaire s’étend une lagune qui couvre un espace de 60 kilomètres ; un petit bateau à vapeur la parcourt pendant les quatre mois d’hiver, et abrège ainsi de moitié la distance où il faut transporter les marchandises à dos de mulet ou sur des chariots ; mais le reste de l’année c’est un marais composé de flaques d’eau isolées. Or il suffirait d’un canal de 300 mètres à peine pour faire communiquer la lagune de Guyutlan avec la mer et pour rendre cette vaste nappe d’eau navigable en tout temps ! Cet exemple entre beaucoup d’autres prouve combien on pourrait, dans ce pays, gagner sur la nature par un faible effort.

Un autre fléau qui empêche l’essor de l’industrie dans les régions les plus fertiles, c’est l’insécurité perpétuelle de la vie et de la propriété, conséquence inévitable de l’instabilité du régime politique. Les partisans des diverses fractions, malgré le nom pompeux de guerilleros dont ils se décorent, sont, à vrai dire, de simples brigands. Lorsqu’on veut parcourir la contrée, on n’a d’autre moyen que les prendre pour