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UN PRINCE FRANÇAIS DU XVe SIECLE.


Le Roi René, sa vie, son administration, ses travaux, d’après les documens inédits des archives de France et d’Italie, par M. A. Lecoy de La Marche. Paris 1875. Didot.


On a dit bien souvent qu’il y avait plus de roman dans l’histoire que dans toutes les fictions imaginées par les poètes ; ce paradoxe serait la vérité même, s’il fallait s’arrêter à l’histoire du roi René. Jamais roman d’aventures ne vit tant de couronnes s’abattre successivement sur la tête du héros pour en tomber presque aussi vite. Jamais prince de la fable doué, suivant l’usage, de tous les bonheurs par une fée Charmante et de tous les guignons par une fée Carabosse, ne se vit ballotté par plus de fortunes diverses, et avec toutes les vertus nécessaires pour saisir les occasions n’en laissa échapper de plus magnifiques et de plus nombreuses. Il naît second fils de Louis II d’Anjou, c’est-à-dire cadet de famille, et destiné comme tel à jouer le rôle secondaire d’un grand seigneur plus ou moins bien apanage. L’extinction imprévue de la postérité masculine des ducs de Bar, dont il descendait par sa mère Yolande d’Aragon, fille elle-même d’Yolande de Bar, fait de lui tout d’un coup, à l’âge de dix ans à peine, le souverain du Barrois. — Presque aussitôt une nouvelle souveraineté s’ajoute à la première : par les soins de sa vaillante mère, René épouse la toute jeune fille de Charles II de Lorraine, Isabelle. Il devient l’héritier présomptif de cette belle province. Le voilà en espérance puissant, riche et heureux entre tous ! — Le revers ne se fait pas attendre : Antoine de Vaudemont, propre neveu de Charles de Lorraine, n’a pu voir sans colère ce duché qu’il convoite passer avec la main de sa cousine Isabelle au pouvoir d’un étranger : dès le lendemain du mariage, il commence une lutte sourde contre le futur souverain : puis, à deux ans de là, à la mort trop hâtive de Charles de Lorraine, fort de l’appui moral de Bedford et des Anglais, plus fort encore de l’appui matériel de Philippe de Bourgogne, il lève le masque et déclare à René une guerre ouverte : en vrai Français, René accepte d’enthousiasme la bataille qu’on lui offre. Oublieux de cette funeste journée de Poitiers, dont l’ennemi ne se rappelait que trop bien la tactique, René et la noblesse qui l’entoure s’élancent à l’envi contre des retranchemens. comme à Poitiers, ils s’y brisent, et la même folie a le même destin : en un quart d’heure, la déroute est complète, le désastre irréparable ; les compagnons de René sont tous morts ou fugitifs, et lui-même, — comme à Poitiers encore le roi Jean le Bon, — après des prodiges à une inutile valeur, tombe aux mains non pas même d’Antoine de Vaudemont, mais de son plus redoutable ennemi, le duc Philippe de Bourgogne. Souverain le matin, il est le soir plongé pour près de six années dans une captivité impitoyable, à laquelle durant tout ce temps il n’échappera