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guerre, il ne la fait qu’à regret, elle contriste sa belle âme et son cœur miséricordieux ; il s’exhale de tout ce qu’il écrit, même de ses ouvrages polémiques, comme un parfum de grâce et de charité. Il avait prévu avec tristesse que les décrets du Vatican allumeraient partout la discorde ; il s’est résigné au fait accompli, mais il a employé la douce subtilité de son esprit, singulier mélange de finesse et de candeur, à en atténuer les conséquences, à les réduire à leur minimum, ce qui lui a valu le titre de grand docteur en minimisme. Plein de respect pour l’autorité pontificale, ce minimiste n’admet pas cependant que tout ce qui se passe à Rome soit bon, juste et saint. Il se plaint qu’au pied du rocher de saint Pierre « il y ait beaucoup de malaria. » Il se plaint aussi qu’il y ait dans l’église un trop grand nombre « d’adulateurs et de sycophantes, » et il se défie de ces gens-là. La religion est pour lui une sorte de torysme ou de loyauté spirituelle ; mais il refuse au saint-père lui-même le droit d’entreprendre sur sa conscience : — « Si j’étais obligé, nous dit-il, de mêler la religion aux toasts qu’on porte après les repas, je boirais au pape si vous le voulez, mais d’abord à la conscience, et le pape ne viendrait qu’après[1]. » M. Newman ne considère pas comme un texte sacré le Syllabus, lequel n’est pour lui qu’un index raisonné d’erreurs, rédigé par l’ordre du vicaire de Jésus-Christ, mais n’émanant pas directement de lui. Il estime que l’infaillibilité du successeur de saint Pierre ne se manifeste que lorsqu’il parle ex cathedra, et qu’il faut tant de conditions pour qu’il parle véritablement ex cathedra, que ce cas est infiniment rare. Il ajoute que le souverain pontife n’est infaillible ni dans ses lois, ni dans ses commandemens, ni dans son administration, ni dans sa politique, et qu’il serait permis de lui résister, s’il s’avisait de troubler l’état, d’où l’on peut conclure que le pape est sujet à l’erreur lorsqu’il décrète contre les gouvernemens, lorsqu’il ordonne aux évêques allemands d’aller en prison plutôt que d’obéir aux lois Falk, lorsqu’il affirme que la possession d’un domaine en Italie ou d’un simple jardin est nécessaire à son indépendance spirituelle, lorsqu’il excite les nations étrangères à intervenir dans les affaires italiennes, ou lorsqu’il interdit aux évêques d’Irlande de se prêter à l’établissement d’une université mixte à Dublin.

À ce compte, comme on l’a remarqué, « la papauté infaillible n’est plus qu’une abstraction sublime, une entité métaphysique, perpétuellement occupée à s’admirer elle-même, mais incapable d’intervenir, si ce n’est nominalement, dans les affaires de ce monde sublunaire[2]. » Plût au ciel qu’il y eût aujourd’hui en Europe et en Amérique beaucoup de

  1. A Letter addressed to his Grace the duke of Norfolk, by John Henry Newman of the Oratory, 1875, p. 74.
  2. Results of the Expostulation of the Right Hon. W. E. Gladstone, by Umbra Oxoniensis, 1875, p. 45.