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face supérieure et ne fondent nullement à la base sous l’influence de la chaleur provenant de l’intérieur de la terre.

Après d’assez grands efforts, la petite troupe touche le pied du Mont-Cervin. Personne à cette époque n’a encore songé à l’escalade entière du pic gigantesque[1] ; il ne s’agit donc pas d’atteindre le faîte, mais seulement une crête moins élevée de 1,000 mètres. Néanmoins le trajet sera rude ; dans plusieurs passages, des membres de l’expédition, obligés de se cramponner aux aspérités, se voient en péril. A un moment, il faut avancer sur une étroite saillie de rocher qui surplombe à une hauteur énorme. Heureusement que les explorateurs des hautes Alpes ne cèdent pas au vertige. Agassiz et Desor parviennent sur une arête d’un mètre de large ; d’un côté c’est le Piémont, de l’autre le Valais. De ce point, les observateurs admirent le magnifique amphithéâtre que limitent les chaînes du Mont-Rose et du Mont-Cervin, un ensemble de vallées, de pics et de prodigieuses masses de glace. Ils voient en face le passage qui conduit dans le Val d’Aoste, et là, au milieu des neiges éternelles, les ruines du fort de Saint-Théodule, autrefois élevé par les gens d’Aoste pour se défendre contre les incursions des habitans du Valais. Sur les pentes septentrionales du Mont-Cervin, la roche est une sorte de schiste micacé très friable, tel qu’il en existe sur les montagnes des Grisons. L’aridité du sol est sans égale ; jamais brin d’herbe ne poussa sur ces pentes, jamais animal n’y chercha une retraite. La nudité du pic ne peut être attribuée qu’à sa forme ; la neige n’adhère point sur les parois trop verticales. Ayant une dernière fois contemplé la cime colossale, les investigateurs se dirigent vers le glacier de Zmutt ; ici des moraines immenses arrêtent l’attention. Large et pittoresque, la vallée de Zmutt a de superbes pâturages émaillés de fleurs ; l’été, chèvres et moutons paissent libres comme s’ils n’avaient point de maîtres. Vers l’issue de la vallée se montrent quelques misérables cabanes en bois de sapin noircies par la fumée ; c’est le village. Tout près, des roches témoignent encore de l’ancienne extension des glaciers. Une heure de marche, et les explorateurs rentrent à Zermatt fort affamés. M. Studer, qui a des projets en tête, partira le lendemain ; Agassiz et Desor resteront afin d’étudier le glacier de Zermatt.

  1. Le souvenir de la première ascension du Mont-Cervin, effectuée le 14 juillet 1864 par le révérend Hudson, lord Francis Douglas, MM. Hadow et Whymper, accompagnés de trois guides, est dans toutes les mémoires. A la descente, près de la cime, un des touristes trébucha entraînant deux de ses compagnons et un guide au fond de l’abîme. La corde qui les tenait tous attachés les uns aux autres s’étant rompue, Whymper et deux guides furent sauvés. — Trois jours plus tard, quatre guides firent l’ascension avec succès.