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relations des gouvernemens avec l’église. Que de paroles sensées et fatidiques ont prononcées à ce sujet quelques-uns des prélats allemands dont là triste destinée excite aujourd’hui les sympathies de toute l’Europe ! « Ils sont tous excellens, disaient d’eux les infaillibilistes, mais ils ont perdu les grandes idées de l’église ; il leur faut deux mois de Rome, et tout le monde sera d’accord. » Deux mois de Rome n’ont pas changé leur cœur, mais leurs avertissemens ne furent point écoutés, ils ont dû céder au torrent, et ils portent la peine d’intempérances d’opinion qu’ils avaient réprouvées. Les modérés ont payé pour les téméraires et les clairvoyans pour les aveugles ; c’est la loi de ce monde.

À quoi sert la clairvoyance ? Le 9 avril 1869, le prince Hohenlohe, aujourd’hui ambassadeur d’Allemagne à Paris, alors président du ministère bavarois, avait adressé à tous les agens diplomatiques de la Bavière une circulaire par laquelle il expliquait que le dogme de l’infaillibilité avait une portée plus politique que religieuse, et qu’il était de l’intérêt des gouvernemens de se concerter pour adresser à Rome de communes représentations, ou tout au moins pour protester d’avance contre toute décision concernant les rapports de l’église et de l’état qui serait prise par le concile sans la participation des représentans du pouvoir séculier. Cette circulaire fait le plus grand honneur à la sagacité de celui qui l’a écrite et qui a toujours passé en Allemagne pour un esprit aussi judicieux que modéré. À quelqu’un qui le félicitait d’avoir attaché le grelot, le prince Hohenlohe répliqua modestement : « Hélas ! ce n’est qu’un grelot, et je voudrais avoir une cloche. » Son grelot d’alarme n’inquiéta personne. Le gouvernement italien estimait qu’il avait de bonnes raisons de ne pas s’occuper de la question. — « Nous autres Italiens, disait à ce propos un politique de Florence, nous sommes trop polis ou trop indifférens pour chicaner le pape sur l’idée qu’il se fait de lui-même. Au surplus notre principe est de permettre à l’église de dire tout ce qui lui plaît ; quand elle parle trop haut, nous plaçons sous le porche quelqu’un qui chante un autre air, et ainsi chacun s’amuse à sa façon. » À Vienne, on déclina péremptoirement l’invitation contenue dans la circulaire. L’Autriche a toujours été jalouse des initiatives que peut prendre la Bavière, et dans ce temps elle avait le désir d’être libérale chez elle, sans renoncer à faire bon ménage avec les ultramontains des états du sud de l’Allemagne, dont les sympathies pouvaient lui être utiles. Elle déclara qu’elle s’en remettait à ses évêques du soin de faire respecter par le concile les droits de l’état. La France répondit sur un ton plus cordial qu’elle remerciait, qu’elle prenait acte, qu’elle approuvait en principe, qu’elle mettrait la question à l’étude, mais que rien ne pressait. La Prusse s’en tint également à une réponse dilatoire ; l’empire n’était pas encore fait, elle ménageait la curie romaine. Son représentant à Rome, le comte d’Arnim, aussi peu avisé qu’il le fut plus tard à Paris, opinait qu’il ne fallait pas prendre