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combattus ; ils se sont rendus aux raisons qu’on leur donnait, ils n’ont gardé rancune que des mauvais procédés. Ceux qui conservaient des scrupules ont pris le parti de s’en taire, ou de n’en parler qu’a ces amis intimes à qui l’on dit tout, D’autres, plus nombreux, se sont soumis sans résistance, mais en se réservant le droit d’interprétation ; il n’est point de texte qu’on ne puisse amender par une glose heureuse. De nos jours, l’église est pleine d’hérétiques sans le savoir, dont le credo, est une cote mal taillée. On commente les paroles inspirées, on les subtilise, chacun les arrange à sa façon, et le monde continue d’aller comme devant, sans que personne ait le droit de se plaindre de personne. « Sa sainteté, lisait-on il y a quelques mois dans un journal anglais, a lancé dans le monde ses interdictions et ses anathèmes, et le monde en a tenu peu de compte. Les fidèles les ont reçus avec un respect conventionnel, après quoi ils se sont hâtés d’assurer à leurs amis protestans que les édits papaux ne peuvent modifier en rien la conduite d’aucun être humain. »

Toutefois, si les décrets du Vatican ont causé peu de dérangement dans les consciences ils ont eu des conséquences politiques d’une incontestable gravité, et les hommes d’état ont plus de peine à s’en accommoder que la communion des fidèles. En 1870, l’église a condamné définitivement la religion de Bossuet, les principes du gallicanisme et la déclaration de 1682, qui établissait que la papauté n’a aucune puissance ni directe ni indirecte sur les choses temporelles, et que ses décisions en matière de foi ne sont sûres qu’après que l’église les a acceptées. Par un effet rétroactif, les pères du concile qui ont proclamé l’infaillibilité du pape ont attribué le caractère d’articles de foi aux déclarations contenues dans l’Encyclique et dans le Syllabus de 1864, et nous sommes obligés de croire que le pape était inspiré d’en haut quand il a condamné tous les principes sur lesquels repose la société moderne. Nous devons croire également que le saint-siège a revendiqué jadis de pleine autorité le droit de s’ingérer dans les questions d’ordre civil ; nous devons tenir pour inspirée jusque la bulle Unam sanctam, qui statue que le pouvoir temporel est soumis au pouvoir spirituel, et que Rome à reçu du ciel la mission de citer les rois et les républiques à sa barre. L’ombre de Boniface VIII doit être fière de ce qui se passe en Angleterre ; — depuis trois mois, le royaume-uni s’occupe de cette bulle Unam sanctam autant que des progrès de la Russie dans l’Asie centrale, ou des dangers que peut courir l’indépendance de la Belgique. Il y a là de quoi consoler ce terrible homme des duretés de Philippe le Bel, des insultes de Nogaret et de la haine de Dante, qui s’est permis de lui assigner une place dans le troisième compartiment du huitième cercle de son enfer.

Les sages n’avaient pas attendu que le nouveau dogme fût promulgué pour signaler les difficultés dangereuses qu’il allait apporter dans les