Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des nouvelles élections auxquelles on allait recourir en Prusse ? Il est plus probable qu’avant d’inaugurer son gouvernement de combat il ait voulu ajouter quelques entretiens nouveaux à ceux qui venaient d’avoir lieu à Compiègne, prendre encore une fois la mesure de l’homme dont une croyance alors, universelle faisait dépendre les destinées de l’Europe, et préparer en général les esprits en France à la politique nouvelle qu’il allait tenter.

Il ne resta à Paris que deux mois, pendant les deux délicieux mois de mai et de juin ; mais ce court séjour lui suffit et au-delà pour compléter ses études et éclairer sa religion. Il eut plus d’une conversation avec le souverain de la France, dont tout le monde à cette époque exaltait les idées profondes, commentait à l’infini les moindres paroles, admirait jusqu’au silence, et que lui cependant, le futur vainqueur de Sedan, n’hésitait pas dans ses épanchemens intimes à définir dès lors comme « une grande incapacité méconnue. » Il vit aussi les hommes influens dans le gouvernement et dans la société, et tâcha de les rallier à ses idées et à ses projets. Il ne cachait pas que son souverain ne tarderait point à faire appel à lui, et il exposait sans détour la ligne de conduite qu’il adopterait en pareille occurrence. Ce que l’histoire aura peut-être le plus à admirer dans le chancelier actuel d’Allemagne, ce sera l’art suprême avec lequel il a parfois manié la vérité : cet homme de génie a su donner à la franchise elle-même toutes les vertus politiques de la fourberie. Très rusé et très astucieux quant aux moyens, il a cependant toujours été, sur le but qu’il poursuivait, d’une désinvolture, d’une indiscrétion sans pareille, et c’est ainsi qu’il eut à Paris dès 1862 de ces confidences étonnantes qui ne faisaient qu’amuser et qui auraient dû faire réfléchir[1].

La France, — disait M. de Bismarck alors et depuis, en 1862 comme en 1864 et 1865, toutes les fois qu’il lui fut donné d’entretenir tel des hommes politiques des bords de la Seine, — la France aurait tort de prendre ombrage de l’accroissement de l’influence de la Prusse et, le cas échéant, de son agrandissement territorial aux dépens des petits états. De quelle utilité, de quel secours sont donc ces petits états sans volonté, sans force, sans armée ? Si loin d’ailleurs que puissent aller les desseins et les besoins de la Prusse, ils s’arrêteront nécessairement au Mein, la ligne du Mein est sa frontière naturelle ; au-delà de ce fleuve, l’Autriche gardera, accroîtra même sa prépondérance, et il y aura ainsi toujours en Allemagne deux puissances se faisant un contre-poids utile. Le bon ordre y gagnera et la France n’y perdra certes rien, elle en retirera même

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1868, les Préliminaires de Sadowa,