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hommage in extremis qui transporta d’enthousiasme tous les vaillans chevaliers du combat de la civilisation !

Habituée de la sorte, et depuis plusieurs années déjà, à considérer le frère du roi comme réconcilié avec les idées modernes et favorable à la cause du progrès, la nation fut beaucoup moins étonnée que charmée de l’entendre, à son avènement à la régence, tenir un langage libéral et constitutionnel. Une « ère nouvelle » allait commencer pour la Prusse ; ce mot fut presque officiellement adopté pour désigner le changement de système, et dans une allocution mémorable, adressée le 8 novembre 1858 au cabinet qu’il venait de former, le prince-régent traçait le programme d’une politique réparatrice. Il y engageait ses conseillers à opérer des améliorations dans ce qui est arbitraire ou contraire aux besoins de l’époque. Tout en se défendant contre un laisser-aller dangereux envers les idées libérales et en exprimant la volonté « d’empêcher courageusement ce qui n’a pas été promis, » il n’en proclamait pas moins le devoir de tenir avec loyauté les engagemens contractés et de ne pas repousser les réformes utiles. L’allocution finissait par la phrase devenue célèbre et depuis si fréquemment citée, « que la Prusse devait faire des conquêtes morales en Allemagne… »

L’accord entre le régent et la nation ne fut point cependant d’une très longue durée ; les rapports ne tardèrent pas à s’aigrir et à s’acheminer vers une rupture complète, grâce précisément à la réforme projetée de l’armée. Le prince avait à cœur cette réforme : les événemens de 1859 n’avaient fait que le convaincre de l’urgence absolue d’une mesure que son esprit caressait depuis bien des années ; mais les députés de la nation refusèrent de le suivre dans cette voie et lui firent une opposition tenace, inébranlable. Ils ne comprenaient rien à l’obstination que le prince mettait à un projet qui ne répondait nullement aux besoins, ni aux aspirations du pays, et ils riaient de ceux qui prétendaient qu’une fois en possession de son nouvel « instrument » le Hohenzollern, lui aussi, allait faire grand ! .. « On avait résisté, dit judicieusement un écrivain allemand, à la tentation du parlement de Francfort en 1849 et à la provocation d’Olmutz en 1850 ; on avait laissé passer les occasions que présentèrent les guerres de 1854 et de 1859. L’amour de la paix était absolu, il y avait absence complète d’ambition, on était tout à fait résigné à la situation politique qu’on occupait, et d’un autre côté personne ne voulait admettre qu’un royaume aussi paisible pût être menacé par les voisins. Dans un tel état de choses, tout agrandissement de l’armée, entraînant après lui une augmentation de charges militaires et financières, déjà assez lourdes sans cela pour les citoyens, ne paraissait au pays qu’un caprice inconcevable de