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c’étaient des thèmes académiques, de beaux morceaux de rhétorique et d’opposition, encore avaient-ils bien plus cours au sud du Mein qu’au nord de ce fleuve, — et c’est là précisément l’art étonnant de M. de Bismarck d’avoir su, pour parler avec Münchhausen, « condenser des brouillards en pierres de taille d’un édifice gigantesque, » et faire d’un rêve de savans une passion populaire. La force de la volonté, la force du caractère, et pour tout dire le génie, peuvent encore, même dans un siècle de nivellement démocratique et de médiocrité égalitaire, jouer un rôle dont ne se doute guère notre pauvre philosophie de l’histoire, qui noie si lestement toute responsabilité et toute initiative dans la fatalité aveugle des « masses, » et, comme le dit un proverbe tudesque, ne sait plus distinguer les arbres à force de regarder la forêt. Ôtez de l’histoire toute récente de la Prusse trois ou quatre hommes qui répondent aux noms de Guillaume Ier, Moltke, Boon et Bismarck, et le vieux Barberousse eût très probablement jusqu’à l’heure présente continué son sommeil séculaire dans la grotte du Kyffhäuser.

La nature se complaît aussi bien dans des analogies que dans des contrastes, et c’est ainsi que les antécédens de ce prince-régent, qui aujourd’hui porte le nom de Guillaume Ier, empereur d’Allemagne, ne laissent pas de présenter quelque similitude avec le passé de l’homme extraordinaire qui, à l’heure du destin, devait lui forger, ferro et igne, la couronne impériale de Barberousse. Pour s’éclairer sur ces antécédens, il faut bien recourir au jourmal posthume de M. Varnhagen von Ense, — le Dangeau libéral, hargneux, compromettant au plus haut degré, aimanté en somme, de la cour de Berlin ; — le même Journal dont nous avons vu M. de Bismarck prendre la défense dans une lettre intime contre les clameurs que cette publication avait soulevées dans la capitale de la Prusse. Il n’est point douteux que le prince Guillaume n’eût fait une opposition énergique aux velléités libérales qui avaient signalé les débuts du règne de son frère, le roi Frédéric-Guillaume IV. Il s’était fait élaborer à cette époque des mémoires à consulter qui établissaient son droit de veto dans tout changement des lois fondamentales de l’état. Le bruit d’une protestation formelle déposée en son nom et en celui de ses descendans contre tout projet de constitution trouva un moment du crédit jusqu’au sein du ministère ; en tout cas, il ne donna son consentement à la charte « féodale » octroyée par son frère le 3 février 1847 que sous la réserve expresse que les états ne statueraient pas sur le budget et ne s’occuperaient jamais des affaires étrangères. Aussi l’impopularité de l’héritier présomptif fut-elle grande avant la révolution de 1848 ; pendant le fatal mois de mars de cette année, c’est contre lui surtout que se déchaîna la fureur