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Frédéric-Guillaume IV n’ont jamais nourri des projets belliqueux, et l’humiliation même d’Olmutz ne devint point un aiguillon pour le ministère de la guerre à Berlin. Les deux prédécesseurs de Guillaume Ier ne sacrifiaient à l’esprit militaire que juste ce qu’il fallait pour faire figure parmi les grandes puissances, pour passer des revues et pouvoir parler de leurs troupes fidèles et de leur épée toujours vaillante : au fond, ils n’étaient pas bien loin de penser comme le grand-duc Constantin, le frère de l’empereur Nicolas, qui dit un jour naïvement : « Je déteste la guerre, elle gâte les armées ! » L’épée des Blücher et des Scharnhorst était rouillée depuis 1815 ; l’adoption même du fusil à aiguille dès 1847 n’a été qu’un incident, une expérience plutôt scientifique ; en 1848 et en 1849, les troupes prussiennes n’ont pas brillé d’un éclat bien merveilleux dans la guerre des duchés, et ont été même misérablement tenues en échec par les bandes indisciplinées de l’insurrection de Posen et de Bade. Le frère du roi, qui avait commandé les troupes dans le pays de Bade, fut douloureusement ému du spectacle que présentèrent alors ses soldats, et, devenu régent du royaume (octobre 1858), il pensa dès les premiers jours à la réforme militaire. Toutefois ce ne fut que la mobilisation essayée lors des complications italiennes (dans l’été de 1859) qui fit éclater aux yeux de tous les graves inconvéniens et incohérences de l’organisation jusque-là en vigueur. Deux hommes supérieurs, MM. de Moltke et de Roon, s’unirent au prince-régent pour remanier le système de fond en comble. Ils y déployèrent une intelligence, une énergie, et une rapidité sans exemple dans l’histoire ; ils surent profiter de toutes les découvertes de la science et ne laissèrent point surtout échapper la grande leçon que devait donner bientôt dans l’Amérique du Nord une guerre civile formidable, mais si riche aussi en expériences et en inventions de tout genre. Malgré les obstacles que l’on ne cessait de leur susciter de toutes parts, ces deux hommes en vinrent, au bout de six ans, à créer une force armée toute nouvelle, puissante, invincible, et « l’instrument, » encore tout rude et rudimentaire en 1860, prouva sa « perfection » néfaste au jour calamiteux de Sadowa ! — Non moins erronée est l’opinion, très généralement répandue cependant, que le peuple prussien eût demandé à son gouvernement des victoires et des agrandissemens : pour réfuter ces suppositions toutes gratuites, il suffit de rappeler que les divers parlemens de Berlin n’ont cessé de s’opposer à la réforme militaire, et qu’ils avaient pour eux la voix presque unanime du pays. Les idées de la grandeur allemande, de la puissance allemande, de la mission allemande, hantaient bien plus l’imagination des professeurs et des écrivains que celle du peuple ;