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énergique à M. de Cavour sur la conduite de la maison de Savoie dans la péninsule italienne. La note établit que « c’est uniquement dans la voie légale des réformes et en respectant les droits existans qu’il est permis à un gouvernement régulier de réaliser les vœux légitimes des nations, » et se termine par le passage qui suit : « appelés à nous prononcer sur les actes et les principes du gouvernement sarde, nous ne pouvons que les déplorer profondément, et nous croyons remplir un devoir rigoureux en exprimant de la manière la plus explicite et la plus formelle notre désapprobation et de ces principes et de l’application qu’on a cru pouvoir en faire. » On se doute de la mauvaise humeur que de pareilles naïvetés durent causer au futur destructeur du Bund, au futur spoliateur du Danemark, du Hanovre et de tant d’autres états. Il songe de nouveau à quitter la carrière ; il est résolu dans tous les cas à « s’en tenir à la situation d’un naturaliste observateur » vis-à-vis de la politique monstrueuse qu’on fait à Berlin. Il est tout étonné du scandale que cause sur les bords de la Sprée la publication du Journal posthume de M. de Varnhagen, journal plein de révélations piquantes sur la cour de Prusse. « Pourquoi tant s’indigner ? n’est-ce pas pris sur le vif ? Varnhagen est vain et méchant, mais qui ne l’est point ? Le tout ne dépend-il pas de la manière dont la nature a mûri notre vie ? Selon que nous avons eu des piqûres de vers, de l’humidité ou du soleil, nous voilà doux, aigres ou pourris. »

Cela ne l’empêcha point toutefois de cultiver soigneusement pendant ces années 1859-1860 ses relations avec le monde politique de Saint-Pétersbourg, de s’y enraciner et d’attacher par mille liens la fortune de son pays à cette amitié de la Russie dont il comprenait tout le prix. La position des représentans de la Prusse a été de tout temps exceptionnelle à Saint-Pétersbourg ; grâce à l’étroite parenté des deux cours, ils jouissaient au Palais d’Hiver d’une confiance et d’une intimité que n’y obtenaient presque jamais les envoyés des autres états. M. de Bismarck sut ajouter à toutes ces conditions favorables l’influence de son mérité personnel et de la bonne renommée qu’il s’était acquise, au point de vue russe, pendant son long séjour à Francfort. Ses voyages antérieurs en Courlande l’avaient fait connaître et aimer par la noblesse allemande des provinces baltiques, par les Keyserlingk, les Uxküll, les Nolde, les Brewern, etc., toujours si influens à la cour, à la chancellerie et dans la diplomatie russe. « Les premiers prophètes de la grandeur future de M. de Bismarck, dit un écrivain très au fait de la société de Saint-Pétersbourg, les premiers qui prédirent la mission providentielle qui lui était réservée en Germanie, furent peut-être ces barons de la Courlande et de la Livonie, chez lesquels le chancelier actuel