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de gérant ayant une situation un peu prépondérante. Ils admettent bien le capital comme un facteur nécessaire, mais ils veulent lui faire une part infinitésimale. Dans ce fâcheux manifeste, qui a été voté comme préambule du rapport d’ensemble par la délégation ouvrière tout entière, il est dit que les sociétés de consommation et de production ne doivent comporter qu’une participation égale pour tous les sociétaires. Cette idée revient sous plus d’une forme dans les rapports spéciaux. Ici on ne veut pas que les sociétaires aient plus d’un très petit nombre d’actions : là, on n’accorde à chaque action qu’un intérêt fixe, la totalité ou la presque totalité des dividendes étant répartis par tête. Le délégué d’Angoulême pour les métiers divers a dans son rapport un passage merveilleux de naïveté et de vanité. « Les ouvriers tailleurs et cordonniers, dit-il, possèdent à Vienne, à Munich et dans plusieurs villes de l’Allemagne des sociétés organisées par eux, et toutes paraissent être en voie de prospérité, quoique leurs statuts ne soient pas fondés sur des bases aussi démocratiques que les sociétés de production de Paris, en ce sens que la répartition des bénéfices se fait selon la part du capital possédé par chaque actionnaire. Cependant une limite est établie : un membre ne peut posséder qu’un certain nombre d’actions afin de permettre l’entrée de la société aux autres. Le souscripteur qui possède dix actions touche à la répartition du dividende dix fois la somme allouée à celui qui n’en possède qu’une. Plusieurs délégués leur ont fait sentir ce vice d’organisation, et, après avoir pris connaissance des statuts parisiens, ils ont promis de réviser les leurs. » Mais, malheureux ! vous ne voyez donc pas qu’avec vos changemens vous allez tout compromettre. Comment ! voilà des sociétés coopératives allemandes qui prospèrent ; voici d’autre part des sociétés coopératives françaises qui meurent ou qui languissent : il semblerait que celles-ci doivent emprunter les statuts de celles-là, il paraît que c’est le contraire qui va se faire. Ainsi l’expérience n’est rien, et la théorie est tout !

Quoi qu’il en soit, il conviendrait, selon nous, de laisser les ouvriers faire à leurs risques et périls l’essai de leur méthode. Ils disent qu’ils rencontrent un obstacle légal, c’est le fameux article 291 du code pénal, qui défend les réunions et les associations de plus de 20 personnes. Les circonstances ne sont guère opportunes pour le rappel de cette prohibition ; néanmoins une loi spéciale devrait autoriser les chambres syndicales ouvrières fondées pour s’occuper des intérêts spéciaux de chaque corporation. L’expérience prouve que ces chambres existent et se multiplient en dépit des défenses légales, soit par la tolérance, soit par l’ignorance de l’administration. Elles ont plus d’avantages que d’inconvéniens ; si on les interdit soit