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compte que des violens et de négliger les pacifiques et les patiens.

Quoi qu’il en soit, le but final que se proposent les délégués à l’exposition de Vienne, c’est l’abolition complète du patronat et du salariat. Sur ce point, on peut dire qu’il y a unanimité parmi eux, ou du moins une immense majorité qui ne laisse place qu’à une ou deux voix dissidentes. Quelques-uns, en très petit nombre, passent cette question sous silence : un seul, le délégué des graveurs, parle à cette occasion le langage, non pas de la prudence seulement, mais du plus ferme bon sens. Traitant de la suppression du patronat, il s’exprime ainsi : « Nous avouons qu’au point de vue pratique il nous est absolument impossible d’admettre une semblable théorie, et que nous ne comprenons guère qu’un travail quelconque puisse s’exécuter sérieusement sans une direction précise. Que le directeur s’appelle patron, gérant ou délégué, il n’en est pas moins démontré que c’est un moteur indispensable, et que l’association la plus intelligente ne saurait s’en passer. » Encore voit-on que ces lignes ne sont pas une profession de foi absolue dans la durée du patronat, même à l’état exceptionnel ; elles contiennent simplement un conseil pour que les associations ouvrières de l’avenir aient un pouvoir directeur solidement constitué et jouissant de larges attributions.

Si les ouvriers considèrent la constitution et la fédération d’un nombre indéfini d’associations ouvrières comme devant être les caractères distinctifs du régime social de l’avenir, ils n’attendent pas à bref délai la réalisation de cet idéal. Ils sont seulement résolus à y’travailler avec énergie, avec persévérance et avec méthode. Ils ont pour les sociétés coopératives l’engouement que partageait il y a quelques années la bourgeoisie lettrée ; mais ils savent mieux les difficultés de la création et surtout de la vie de ces sociétés. Aussi ne regardent-ils pas la fondation de ces associations comme l’œuvre la plus pressante. Ils ont un autre moyen d’affranchissement, pour parler leur langage, qui doit être essayé auparavant, qui ne donnera guère de mécomptes et qui les mènera graduellement à la coopération : ce moyen, c’est l’institution ou le développement des sociétés syndicales ouvrières. On sait ce que sont celles-ci : des groupes professionnels tendant à embrasser tous les ouvriers d’un corps d’état dans un même district. Leur tâche est multiple, elle ne sera pas la même pendant la période de transition et dans le régime définitif. Aujourd’hui elle a pour objet de concentrer les forces des ouvriers pour défendre leurs intérêts et les faire prévaloir dans les conflits avec les patrons, pour aider à la propagation de l’enseignement professionnel, à la surveillance de l’apprentissage, pour remplacer au besoin les prud’hommes par une juridiction encore plus populaire, encore plus fraternelle, enfin pour obtenir dans les