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forces. Loin qu’on ait besoin de les pousser dans cette voie, il faudrait peut-être calmer un peu leur ardeur, ou du moins les engager à ne pas se priver du concours des autres parties de la société. L’enseignement professionnel est un des objets qui leur tiennent le plus à cœur : ils voudraient le développer, le fortifier ; beaucoup de délégués pensent que les associations ouvrières suffiraient à cette tâche. Quelques autres s’adressent bien, sans exagération d’ailleurs, au gouvernement : le délégué des graveurs par exemple réclame la fondation d’un musée des arts industriels, comme en Angleterre, comme en Autriche, comme à Moscou, et une grande école supérieure de dessin sur la rive droite de la Seine ; mais le même rapporteur, quelques pages plus loin, tout en rendant hommage à la ville de Paris pour la création récente d’écoles d’apprentissage, déclare qu’il compte principalement sur les chambres syndicales pour la fondation d’ateliers où les plus habiles ouvriers viendraient enseigner à leurs heures de loisir : il n’y aurait, dit-il, rien de pédantesque dans cet enseignement tout fraternel. Le délégué des marbriers engage les corporations à se grouper au nombre de cinq ou six pour avoir un même local et entretenir chacune un professeur, ce qui ne serait pas coûteux. Si la corporation des marbriers a dépensé 18,000 francs dans une grève, elle eût été capable aussi de fonder une école professionnelle et de la faire vivre avec succès.

Les délégués parlent assez fréquemment des conseils de prud’hommes ; leur opinion sur ce point est unanime et facile à analyser : ces conseils ne sont pas assez multipliés, ils ne répondent pas aux nombreuses spécialités de l’industrie parisienne, de sorte que souvent les juges sont absolument incompétens ; la nomination des présidens par le gouvernement leur paraît aussi une violation de leurs droits et de leur dignité ; enfin ils voudraient que les délégués fussent payés ; on trouve à ce sujet dans un des rapports une pensée pleine de bon sens. Après avoir insisté sur la nécessité de rémunérer les prud’hommes, le délégué des mécaniciens d’Angers ajoute : « Nous ne devons pas pour cela demander des rétributions au gouvernement, toutes les corporations doivent indemniser elles-mêmes leurs prud’hommes. » Voilà un trait, entre bien d’autres, qui est caractéristique : ne rien attendre du gouvernement et tout d’eux-mêmes, c’est là la devise de la plupart des délégués.

Sur quelques autres points encore, les plaintes ou les vœux des ouvriers nous semblent dignes de considération. Plusieurs des rapports récriminent avec assez d’aigreur contre le mode de paie, contre les heures supplémentaires qui sont suivies de morte-saison, et enfin contre le livret, qui est aboli en droit, mais qui est encore