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adultes ou d’un âge mûr. C’est aussi ce qui se voit aujourd’hui ; seulement alors chaque homme contribuerait pour une très faible part à la subsistance de ses propres enfans et de ses propres parens, et pour, une part beaucoup plus considérable à la subsistance des enfans et des parens d’autrui. Il est permis de douter que ce soit là un progrès. Quelques-uns de ces rapports sont encore trop empreints de ces théories qui remplacent les devoirs individuels par des devoirs sociaux, et qui tendent à supprimer les obligations de famille ; mais l’action immédiate de l’état est moins souvent réclamée : elle doit faire place à celle des sociétés ouvrières soit séparées, soit réunies en fédération.

Comptant moins sur l’assistance directe de l’état, les délégués comptent beaucoup sur celle du temps. On les croirait disciples de la nouvelle école scientifique qui a propagé la théorie de l’évolution : ce n’est pas un changement à vue qu’ils attendent, c’est une lente et graduelle modification. Les projets de réforme élaborés par les plus sages d’entre eux exigeraient en effet bien des années pour la transformation sociale qu’ils désirent : fondation de chambres syndicales ouvrières, création d’un capital par les cotisations des membres, emploi de ce capital à la constitution de sociétés coopératives de consommation et de sociétés de crédit, accumulation des bénéfices produits par ces sociétés coopératives de distribution et organisation de sociétés ouvrières de production. C’est cette méthode d’évolution qui est le trait nouveau et caractéristique des rapports de la délégation ouvrière à Vienne ; dans quelques cas, elle pourrait réussir, si elle était pratiquée avec un esprit de prudence, de concorde et de persévérance. Malheureusement toutes ces créations successives de sociétés de diverses natures et dont les unes sont filles ou mères des autres ne pourront pas se faire en un clin d’œil. La plupart des délégués ne l’ignorent pas : aussi plusieurs déclarent-ils que la génération actuelle ne verra pas l’émancipation complète du prolétariat.

En attendant ce définitif affranchissement, il est bon de s’accommoder du patronat et de constituer avec lui une sorte de modus vivendi, régime fait de concessions réciproques, plus supportable que le régime actuel, quoique inférieur au millenium espéré. Cette pensée pratique se retrouve dans la plupart des rapports. En examinant quelles sont ces réformes de détail que réclament les délégués, on peut constater que plusieurs seraient très utiles et faciles ; on verra aussi que les conceptions des ouvriers sur différens points de l’économie industrielle se sont améliorées.

Un heureux symptôme, c’est que la plupart des rapports sont très explicites contre les grèves. Les ouvriers anglais ont fait de la grève une arme systématique qu’ils emploient d’une manière