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comment s’exprime le délégué des mécaniciens : « nous avons recherché d’où venait cette supériorité qui réside non dans la richesse minéralogique de (notre sol, comparé à celui de nos voisins, non dans notre outillage, encore imparfait, mais bien dans l’habileté des prolétaires français, qu’aucune nation ne conteste. Cette assertion est loin d’être nouvelle. Déjà, à la fin du siècle dernier, un grand citoyen qui fut longtemps un prolétaire assurait que, si chaque Français produisait seulement quelques heures par jour, la France ne saurait bientôt que faire de ses richesses. En formulant cette assertion, il avait constaté deux choses : l’habileté des ouvriers français et le parasitisme qui dévorait la France. Depuis cette époque, ces deux choses n’ont fait que s’accroître. » Le grand citoyen, longtemps prolétaire lui-même, qui a fait cette observation est, nous dit-on, Franklin. Croire que la moitié des Français sont des parasites, et qu’il suffirait que chacun travaillât quelques heures par jour pour que la France fût embarrassée de ses richesses, c’est vraiment se faire de grandes illusions : c’est en outre pécher par défaut de mémoire que de prétendre que les parasites ont augmenté de nombre en France depuis la fin du XVIIIe siècle. Le même délégué pense que presque toutes les découvertes industrielles, presque tous les procédés nouveaux de fabrication proviennent d’ouvriers. « Il ne faut pas oublier, dit-il, comme on le fait trop souvent, que les innombrables moyens d’abréviation employés dans ces derniers temps sont l’œuvre des travailleurs aux pièces qui les inventent, les perfectionnent, et il n’en est presque aucun qui ne prétende avoir un ou plusieurs moyens, que dans son langage imagé il appelle des trucs, pour abréger le travail qui lui est confié. » Il s’étend ensuite sur les raisons qui empêchent les ouvriers de prendre des brevets d’invention, et il convie les chambres syndicales à venir en aide à ces modestes inventeurs, à se substituer à eux dans leurs droits en leur accordant une indemnité. Le délégué des conducteurs typographes affirme que « bon nombre d’innovations, perfectionnemens, nouveaux systèmes de machines, ont été découverts par des conducteurs, chercheurs infatigables, dont le seul intérêt et le principal mobile étaient l’amour de leur métier ; ils ont livré leurs découvertes aux constructeurs mécaniciens, qui seuls les ont exploitées et en ont eu tout le profit et toute la gloire. » Le délégué des tailleurs insiste sur la même idée, et déclare que « la plupart des inventeurs ont été plus ou moins ouvriers. » Quant au délégué des ouvriers en voitures, il ne se donne même pas la peine d’affirmer ce fait qui pourrait prêter à discussion ; il n’y touche que par cette figure de rhétorique qui a reçu le nom de prétérition, comme à une vérité évidente. « On croirait, dit-il, que plus l’ouvrier invente de machines et perfectionne l’outillage pour diminuer sa peine, et plus il augmente sa tâche, » et il ajoute dans un autre