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d’instituteurs parisiens. Le rapport qu’ont fait ces deux derniers délégués, quoique comprenant d’assez bonnes parties, est souvent déclamatoire et empreint de doctrines suspectes : c’est ainsi qu’il semble pencher pour cette singulière théorie que l’on appelle l’équivalence des fonctions, en vertu de laquelle un homme comme Newton n’est pas plus utile à l’humanité qu’un casseur de pierres sur les routes, ou bien encore un général comme M. de Moltke n’est pas à son pays d’un plus grand secours que le dernier des conscrits.

Les délégués arrivèrent à Vienne le 4 août, ils étaient de retour à Paris le 15, ayant passé seulement neuf jours en Autriche. L’autorité autrichienne mit à leur disposition des baraquemens qui avaient été construits près de l’exposition ; ils y occupaient cinq grandes pièces, dont quatre contenaient chacune trente lits, et la cinquième servait de salle à manger. Quelques-uns des délégués ont raconté la vie qu’ils menaient pendant ce rapide séjour. Ils conféraient ensemble de six à sept heures du matin sur l’objet de leur mandat, la meilleure manière de le remplir, et aussi sur les questions sociales. Ils déjeunaient à huit heures, allaient à l’exposition, dînaient à midi, soupaient à huit heures. Plusieurs se plaignent amèrement du régime auquel on les mit : coucher et nourriture sont l’objet de l’indignation violente de quelques-uns d’entre eux. Ils blâment la commission exécutive ouvrière, qui n’a pas eu assez de soin de leur bien-être. Ce qui est certain, c’est que le séjour des ouvriers était bien bref pour qu’ils fissent une étude un peu approfondie des produits exposés, c’est qu’ils manquaient d’interprètes, n’en ayant que quatre pour 107 qu’ils étaient. Quelques-uns des rapports parlent assez dédaigneusement de la commission officielle française à l’exposition. Aucun n’en fait l’éloge ; plusieurs la représentent comme ayant été pour eux pleine d’indifférence, sinon d’hostilité. Ils ont au contraire beaucoup de louanges pour l’administration autrichienne, pour le conseil municipal de Vienne, qui les invita à une fête donnée au palais de Schœnbrunn en l’honneur du shah de Perse, invitation qu’ils déclinèrent, ayant été envoyés à Vienne, dirent-ils, pour travailler, non pour se divertir. En général, les délégués furent bien reçus, à Vienne tant par les patrons que par les ouvriers, ils purent visiter un certain nombre d’ateliers, quoique l’ignorance de la langue fût un grand obstacle à des relations un peu étroites avec les habitans du pays. Il y eut pourtant quelques exceptions à ce bon accueil. Le délégué des ouvriers en papiers peints raconte que, s’étant présenté à l’une des principales fabriques de Vienne et ayant demandé à la visiter en se recommandant de sa qualité, on lui répondit par un refus, « sous le prétexte, dit-il, qu’à Vienne les ouvriers vivent en bonne intelligence avec les patrons, et qu’on craignait que je ne leur suggérasse des