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persistaient à prédire que la fin des choses approchait. L’éruption du Vésuve, qui produisit partout un grand effet, les confirma dans leur opinion. « Quand les entrailles de la terre italienne, disaient-elles, seront déchirées, quand la flamme s’élancera jusqu’au vaste ciel, consumant des villes, faisant périr des hommes et remplissant l’air immense d’une nuée de cendres obscures ; quand des gouttes tomberont d’en haut, rouges comme le sang, reconnaissez alors la colère du Dieu céleste, qui veut venger la mort de ses justes. » Sous Trajan, sous Marc-Aurèle, pendant cette période des Antonins, qui nous semble si heureuse et si belle, sous Commode, sous les Sévère, les poètes sibyllins annonçaient, sans se déconcerter, l’approche du grand événement qu’ils appelaient de leurs vœux. Tout leur servait de prétexte pour l’attendre et l’espérer. Au milieu de ce calme profond de la paix romaine, tant célébré par les poètes, ils croyaient toujours entendre le bruit affreux de la machine qui se disloquait : Les moindres accidens qui troublent la vie des empires les plus solides, une peste, une défaite, une famine, une sécheresse ou une inondation, tout prenait pour eux des significations effrayantes ; quelquefois ils se livraient à des calculs cabalistiques et trouvaient un sens mystérieux dans la rencontre fortuite de quelques chiffres ; enfin, à défaut de tout autre indice, la corruption même du vieux monde romain, que s’exagéraient aisément ces sectaires rigides, suffisait pour leur faire croire qu’ils assistaient aux abominations des derniers jours. « Quand la piété n’existera plus chez les hommes, disaient-ils, ainsi que la justice et la foi, qu’ils en seront venus au comble de l’audace et ne mettront plus aucune mesure dans l’outrage, qu’ils n’auront aucun souci des justes et qu’ils en viendront à ce point d’iniquité de vouloir les détruire tous, qu’ils se réjouiront de les combler d’injures et seront fiers d’avoir les mains rouges de sang ; alors ne croyez pas que Dieu restera sans rien faire. Soyez sûrs au contraire qu’il se prépare à frapper toute la génération coupable ! »

On est un peu surpris de trouver des chrétiens parmi ces ennemis acharnés de l’empire. Il est bien vrai que Tacite prétend qu’ils étaient convaincus de haïr le genre humain (odio generis humani convictos), ce qui, dans la bouche d’un Romain, veut dire qu’on les accusait de haïr Rome ; mais les apologistes les défendent de ce reproche. Ils soutiennent que les empereurs n’avaient pas de sujets plus soumis et qu’ils répondaient aux rigueurs dont on les accablait par une inébranlable fidélité. Tertullien, qui n’est pas suspect de complaisance pour l’autorité, affirme à plusieurs reprises qu’ils n’ont pris part à aucun complot et que les princes ne les ont jamais trouvés parmi les rebelles ; il les représente priant Dieu, dans leurs