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Mais ces malheurs sont les derniers qu’éprouvera le monde. Une fois les méchans punis et le « jour de Jéhovah » passé, l’ère messianique commence. « Alors les villes Regorgeront de biens, les champs seront fertiles ; plus de glaives, plus de tumulte sur la terre, plus de ces tressaillemens profonds qui secouent le sol gémissant ; plus de guerre, plus de sécheresse, plus de famine, plus de grêle malfaisante et meurtrière pour les fruits… Alors surgira un royaume qui durera éternellement et s’étendra sur l’humanité entière, et de toute la terre on portera de l’encens et des présens au temple du grand Dieu. »

Tels étaient les rêves que formaient quelques Juifs pieux, près de deux cents ans avant le Christ. Cet oracle sibyllin, le plus ancien de ceux qui nous soient parvenus, contient déjà ce qui sera dans tous les autres. La forme est trouvée ; elle servira fidèlement pendant cinq siècles, de Ptolémée Philométor jusqu’à Constantin, aux impatiens, aux opiniâtres, aux exaltés, pour exprimer leurs désirs et leurs espérances. Tous ceux qu’anime l’ardeur du prosélytisme en useront comme d’un moyen commode de répandre leurs croyances. Ils chargeront la sibylle de prêcher l’unité de Dieu, la chasteté, la charité[1], la venue du Messie et la gloire qui attend Israël dans le monde renouvelé, toutes vérités dont la sibylle devait être la première assez surprise : ils lui feront railler en termes amers le culte des faux dieux et annoncer avec des accens de triomphe la chute prochaine de l’idolâtrie. « Isis, dira-t-elle, déesse infortunée, tu resteras seule sur les bords du Nil, comme une ménade furieuse sur les rivages desséchés de l’Achéron, et sur toute la terre il n’y aura plus aucun souvenir de toi. Et toi, Sérapis, tu gémiras assis sur les ruines de tes temples, et l’un de tes pontifes, encore couvert de sa robe de lin, dira : Venez ici, élevons un autel au vrai Dieu. Venez, et quittons toutes les croyances de nos pères, qui faisaient des sacrifices à des divinités de pierre et d’argile. Changeons de sentimens ; prions le Dieu immortel, créateur de tout, qui n’a pas été créé, le père et le roi des âmes, qui doit toujours exister. »

Les chants sibyllins ne contiennent pas seulement des prédications morales et religieuses ; on y trouve partout des protestations violentes contre la domination romaine. C’est ce qui en fait le principal intérêt pour nous : les vaincus, les opprimés, y ont déposé leurs plaintes, et ils sont le seul souvenir qui nous reste des haines qu’a soulevées le grand empire. Les actes officiels conservés par les inscriptions, les discours des rhéteurs, les vers des poètes de cour

  1. Citons en passant un beau mot d’un de ces oracles qui veut montrer comment Dieu récompense la charité. « Donnez-moi la semence, dit-il, je vous rendrai la moisson. »