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A côté de ces applications fécondes, qui nous touchent directement par ce qu’elles nous procurent de jouissances et de bien-être, la science poursuit toujours l’œuvre patiente et laborieuse des investigations qui n’ont pour but immédiat que d’accroître la somme du savoir. Elle continue d’explorer la profondeur des cieux et les abîmes de la mer. M. Wyville Thomson vient de raconter en détail les expéditions de dragage entreprises pendant les étés de 1868, 1869 et 1870, par les navires anglais le Porc-Épic et l’Eclair. Son ouvrage, qui est accompagné de nombreuses gravures, a été traduit en français par un savant qui a lui-même un nom dans la science, M. Lortet, directeur du Muséum d’histoire naturelle de Lyon. On peut y lire tout au long les travaux accomplis et les surprises qui étaient réservées aux savans sous la direction desquels ont été exécutés les dragages en eaux profondes. On avait cru que dans ces régions cachées au regard de l’homme et soumises à une pression énorme toute vie était impossible ; on s’est assuré qu’une faune abondante grouille dans ces gouffres, que des animaux supérieurs même y prennent leurs ébats. D’innombrables molusques phosphorescens y répandent de vagues lueurs dont profitent pour s’orienter les habitans de l’abîme qui ont des yeux. Les sondages de MM. Carpenter, Gwin Jeffreys et Wyville Thomson ont démontré que, contrairement à l’opinion reçue, la couche d’eau immobile à la température de 4 degrés, qui correspond au maximum de densité de l’eau, ne se rencontre nulle part ; il se trouve que partout de larges courans chauds ou froids, dont l’existence est révélée par les observations thermométriques, font circuler l’eau et renouvellent les gaz qu’elle contient : ce sont pour ainsi dire les artères et les veines de l’océan. Grâce à cette circulation, à cette respiration incessante, la vie est possible dans les grandes profondeurs de l’Atlantique. Confinée dans son étroit bassin, la Méditerranée ne peut respirer aussi largement, c’est pour cela que les êtres vivans manquent à peu près complètement dans les couches inférieures de cette mer, dont l’eau est en outre corrompue par les impuretés du Nil, ce grand égout de l’Afrique orientale. Enfin la sonde a ramené au jour plus d’un représentant des faunes antédiluviennes, — des éponges siliceuses, des encrines des mers jurassiques, des oursins des périodes crétacées, qui prouvent que ces témoins des premiers jours de la création ont traversé les siècles des périodes géologiques sans presque subir de modifications, reliques vénérables des temps où l’homme ne foulait pas encore le sol de la terre.

Les lecteurs de la Revue savent par une intéressante étude de M. Charles Martins[1] que M. Wyville Thomson a repris la mer, et que depuis deux ans une corvette à hélice, le Challenger, sillonne de nouveau en tous sens l’Atlantique et le Pacifique pour continuer cette

  1. Voyez la Revue du 15 août 1874.