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sans ces surcharges mises à la mode par l’école moderne et sans ce tâtonnement qu’on veut aujourd’hui faire passer pour un effet de l’art, et qui n’est le plus souvent que le résultat d’une inexpérience présomptueuse ou mal déguisée. Espérons que l’attention et les encouragemens du public ne manqueront pas à ces publications consciencieuses, utiles et qu’on ne mène jamais à bonne fin sans beaucoup de science et beaucoup de désintéressement.

On connaît les curieuses études que M. Bonnaffé a publiées sur les principaux collectionneurs de tous les temps, et qui ont révélé des filiations qu’on ne soupçonnait pas entre les amateurs d’il y a mille ans et ceux qui vivent à nos côtés, — famille illustre que celle qui compte des membres comme Annibal, Mithridate et César, à laquelle se joignent des descendans comme Laurent le Magnifique, Charles Ier, Mazarin, et cette Catherine de Médicis dont M. Bonnaffé vient en quelque sorte de se faire le panégyriste en éditant l’Inventaire de ses meubles dressé par le sieur Trubart, tapissier adjoint aux commissaires qui, le 15 juillet 1589, s’en vinrent mettre arrêt sur la succession de la mère de trois rois. Malgré son ambition, ses crimes peut-être, comment ne pas défendre une femme qui aimait tant les belles choses, qui fut la protectrice de nos plus grands artistes français, et qui bâtit les Tuileries ? Si quelqu’un a le droit de se montrer indulgent pour elle, n’est-ce pas celui qui partage presque tous ses goûts ? En parcourant ce catalogue, où le goût de la fille des Médicis se montre avec son luxe royal, on se demande si tant d’élégance et de finesse dans l’esprit peuvent s’allier aisément chez une femme avec une si froide et si implacable cruauté ; on hésite à croire que la protectrice de Bernard Palissy, de J. Cousin, de Philibert Delorme ; puisse être en même temps le bourreau de Coligny. Quoi qu’il en soit de ces secrètes inductions, M. Bonnaffé nous conduit avec tant de complaisance dans ces grandes chambres de l’Hôtel de la reine, où la veuve d’Henri il promena si longtemps son deuil et sa tristesse d’épouse et de mère, il enrichit de notes si intéressantes la longue et sèche nomenclature de maître Trubart, que l’imagination du lecteur s’en échauffe. Il croit revoir dans leur sombre magnificence cette grande salle du rez-de-chaussée toute tendue des tapisseries de la manufacture parisienne de la Trinité, fondée par Henri II, dont il existe encore à Florence dans le corridor des Uffizi de si admirables spécimens, et cette autre galerie toute pleine des images de la famille royale de France, œuvres des Demonstier et de Benjamin Foulon, auxquels on peut adjoindre sans erreur Corneille de Lyon, et ce François Clouet, qui, par la place chronologique comme par la valeur du talent, est resté encore aujourd’hui un des premiers portraitistes de l’école française. Aimez-vous Léonard Limousin, Catherine possédait plus de deux cent cinquante pièces d’émaillerie parmi lesquelles « trente-deux portraits de