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la province de Buenos-Ayres, homme de quelque importance lui-même, et chef d’un parti exalté, remuant, audacieux, avide de pouvoir. il y avait enfin un troisième concurrent, le docteur Avellaneda, homme de mérite, qui est arrivé jeune dans la politique, qui a été ministre à vingt-trois ans, et qui, étant d’une province éloignée, de Tucuman, s’est trouvé être le candidat des provinces. C’est autour de ces trois noms que s’est déroulée pendant toute une année une lutte acharnée, furieuse, où les partis ont fait assaut de violences, de manœuvres de toute sorte, de fraudes éhontées, de falsifications audacieuses des registres électoraux. Ce qu’il y a de caractéristique, c’est que la lutte la plus implacable s’est concentrée surtout entre les deux candidats qui pouvaient passer pour représenter Buenos-Ayres, et pendant ce temps la candidature de l’homme des provinces faisait presque silencieusement son chemin, si bien qu’au bout de tous les scrutins M. Avellaneda avait une majorité évidente ; il l’emportait sur ses adversaires, plus divisés, plus irrités que jamais dans leur défaite et menaçant de recourir à des violences nouvelles.

Celui qui allait être président, M. Avellaneda, a-t-il voulu faire preuve d’un esprit de conciliation ? Pour détourner des collisions menaçantes, a-t-il cru politique et prudent de désarmer les plus violens de ses adversaires en leur offrant des compensations de pouvoir ? Toujours est-il qu’il est entré en arrangement avec le parti Alsina, qui s’est hâté d’accepter ces avances, voyant déjà dans ces dispositions du président une faiblesse qui lui permettrait peut-être de reprendre l’ascendant, de gouverner le pays à son gré. Les partisans du général Mitre, assez disposés au fond à se soumettre à l’autorité du scrutin qui donnait le pouvoir à M. Avellaneda, ont été ulcérés en voyant les amis de M. Alsina passer ainsi du rôle de vaincus au rôle de victorieux, maîtres du pouvoir dont ils usaient déjà sans scrupules. Ils se sont sentis humiliés, joués, même menacés, et dès ce moment il était décidé entre eux qu’on s’opposerait, fût-ce par les armes, à la prise de possession de la présidence par M. Avellaneda. La conspiration était flagrante. Le général Mitre et ses partisans comptaient sur des forces sérieuses, sur l’appui des commandans des troupes des frontières, le général Rivas, le général Arredondo, les colonels Murga, Machado ; ils croyaient même pouvoir disposer des tribus d’Indiens toujours prêtes aux invasions et aux déprédations.

Tout était prêt ; la levée de boucliers ne devait cependant avoir lieu que le 12 octobre, jour où expirait la présidence de M. Sarmiento et où les partisans de Mitre comptaient prendre les armes à la main leur revanche du scrutin ; mais le gouvernement découvrait la conspiration, et c’est ce qui a précipité l’insurrection, qui, au lieu d’attendre le 12 octobre, éclatait dès le 24 septembre. Au premier moment, elle a paru assez menaçante. Mitre n’avait pas seulement avec lui les chefs