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à une certaine heure ; mais qui donc l’a frappée de déchéance avant qu’elle existât et a du même coup empêché une monarchie plus libérale ? Qui a offert un Charles X à la place d’un Louis XVIII ? Admettons, comme on le dit, que la monarchie fût nécessaire, tout au moins utile à la France : il en résulterait que M. le comte de Chambord et son parti l’ont compromise au moment où elle aurait été possible, — et maintenant qu’ils l’ont rendue impossible, pour se donner le temps de voir revenir la chance, ils n’auraient d’autre préoccupation que de laisser le pays dans le vide, sans gouvernement organisé, sans institutions ? Puisque les esprits chagrins ne veulent pas de la restauration à la manière de M. le comte de Chambord, rien ne peut ni ne doit exister ! Puisque la royauté a manqué l’occasion, la France doit se résigner à être perdue sans ressource, surtout sans songer à se sauver elle-même ! C’est une tactique connue, c’est la politique des partis extrêmes, et ce qui est vrai des légitimistes l’est tout aussi bien des bonapartistes ou des radicaux, ces étranges alliés contre toute organisation sensée et protectrice. Les bonapartistes ont, eux aussi, leur mot d’ordre venu de Chislehurst et ne sont pas moins opposés que les légitimistes aux lois constitutionnelles. Les radicaux, eux, n’ont pas besoin d’instructions ; ils ont leur république, qui est au-dessus de l’assemblée comme au-dessus du pays lui-même, ils font ce qu’ils peuvent pour en faire un système incompatible avec un ordre durable, pour réaliser les pronostics de M. de Bismarck sur cette république qui doit tenir la France agitée, paralysée et isolée.

Évidemment, si l’on veut tenter une œuvre sérieuse, ce n’est pas sur ces partis extrêmes qu’il faut compter, puisque leur première préoccupation est d’empêcher toute organisation constitutionnelle, ou même de contester à l’assemblée le droit de la voter. Avec ceux-là, il n’y a rien à faire, on ne les convaincra pas, la France n’a pas le droit d’échapper à la tyrannie de leurs rêves, de leurs préjugés ou de leurs passions. Ils sont un embarras, ils ne peuvent pas être un secours, ils ne seraient qu’un appui compromettant. C’est entre ces intransigeans de toute couleur et de toute sorte que restent toujours les élémens de la majorité possible, majorité de raison, de transaction, qui existe substantiellement, qu’il suffit de rassembler, d’éclairer, de coordonner, et c’est là surtout l’œuvre de ceux qui ont l’ambition d’être des chefs et des guides. C’est à eux de tempérer les dissidences, de simplifier les choses, de préciser les conditions dans lesquelles peuvent s’unir toutes ces bonnes volontés éparses et flottantes. On est sans cesse à se lamenter en répétant que rien n’est possible. Nous le croyons aisément, puisqu’on veut faire une majorité en maintenant toutes les divisions et toutes les confusions. Ceux qui par l’autorité ou par la persuasion devraient rendre tout possible sont souvent les premiers à créer des difficultés ou à grossir celles qui existent ; au lieu d’élever les questions et de désintéresser les opinions sincères par