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ture de la Muette et deux actes de la Juive avec Mlle  Krauss composeraient alors l’affiche de cette fameuse soirée qui se terminerait par le ballet de la Source. Peut-être à ce spectacle coupé eussions-nous préféré la simple représentation d’un même ouvrage, pris d’ensemble et complet ; c’eût été moins pittoresque, moins gala, mais, à notre avis, beaucoup plus digne. Il fallait choisir les Huguenots et laisser dire ; le grand-duc Constantin ne comprenait rien à ces marivaudages de patriotisme, et, quand vous cherchiez à lui expliquer la question de nationalité introduite après coup dans cette affaire, il s’étonnait fort que Meyerbeer chez nous ne passât point pour un Français. S’il ne l’était, ses opéras le sont, et ce soir-là, bon gré, mal gré, absens ou présens, les Huguenots s’imposeront à la pensée de tous.

Du reste, il n’y a encore que des conjectures à former sur ce premier spectacle, on espère toujours que Mme  Nilsson reviendra de sa mauvaise humeur ; mieux conseillée, la brillante Suédoise comprendra que Paris vaut bien un léger sacrifice, et, si elle persistait dans sa bouderie, le malheur ne serait point grand. Tout le monde s’en consolerait en pensant que Mme  Nilsson ne fut jamais à l’Opéra que la cantatrice d’un seul rôle, et qu’il ne s’agissait en somme que de quelques représentations fugitives, obtenues comme par grâce. De son côté, le directeur de notre grande scène lyrique se le tiendra pour dit, et saura ce que c’est que d’obéir à des influences qui ne lui ont procuré jusqu’ici que les plus fâcheuses déconvenues. Les complications surgissent de partout ; devant ces frais énormes que l’exploitation de cette nouvelle salle va nécessairement entraîner, devant cet imprévu les plus fortes têtes se troubleraient. Laissons le directeur faire face aux terribles difficultés qui l’envahissent, donnons six mois à son administration avant de lui demander des comptes trop sévères. Pour le moment, contentons-nous de ne point le décourager, car ce n’est point sa faute après tout, il ne faut pas trop lui en vouloir, si ce théâtre, qu’il a pris dans l’abandon et la détresse, qu’il n’a pas déserté dans l’incendie, est aujourd’hui le plus beau théâtre du monde et le plus magnifique à gouverner.


F. de Lagevenais.