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ment renaître, ce ne sont point, grâce à Dieu, les compositeurs qui nous manquent ; si l’opérette en a débauché bon nombre, les vrais talens résistent, et dans le groupe des Bizet, des Reyer, des Massenet, il n’y a qu’à choisir. Reste à connaître les moyens d’exécution que vous leur offrirez. Concluons : remplir sérieusement ce double programme est impossible ; de ces deux coches, il s’agit d’en lâcher un pour ne pas mener l’autre aux abîmes. Qu’on opte donc, bien convaincu que le public, qui se laisse amuser quelques mois par des bagatelles plus ou moins foraines, ne souffrirait pas qu’un tel jeu s’éternisât. Le public n’en demande point tant ; retirez ces combinaisons trop savantes, simplifiez, et de ces deux théâtres ne nous en donnez qu’un, italien ou français, mais que ce soit un vrai théâtre.

L’Opéra-Comique a son système, qu’il poursuit de plus en plus au péril de ses jours. Il se perd, se ruine, il le sait, et ne continue pas moins de braver mille morts pour la plus grande gloire de l’idée. On pensera ce qu’on voudra, c’est de l’héroïsme et du plus beau ; l’homme d’esprit qui nous montre un si noble exemple de persévérance et de persistance à travers tout mérite l’admiration de ceux-là même qui renoncent à fréquenter son théâtre. Malheureusement le nombre de ces dissidens augmente chaque jour, et je doute que la reprise de Mireille en ramène beaucoup.

Combien de gens ne nous ont pas encore pardonné d’avoir appelé la partition de Faust un faux chef-d’œuvre ! Qu’est-ce maintenant qu’une idylle comme Mireille où manque tout sentiment naïf, sinon une fausse idylle ? Talent ingénieux, avisé, malin, perfectible à l’excès, M. Gounod possède par-dessus tout cette virtuosité spéciale à notre temps, et qui consiste à remplacer par un effort voulu de l’intelligence ce don inconscient et divin que nos aïeux nommaient l’inspiration. Sganarelle, en mettant le cœur à droite, le laissait encore dans la poitrine ; nos artistes font mieux, ils le mettent dans la tête, et les avantages qu’on tire de ce procédé sont incalculables. « Ce diable de Sardou est capable de tout, même de vous faire du sublime ! » nous disait pendant un entr’acte de la Haine un des plus spirituels pourvoyeurs de nos petits théâtres. Demandez du pathétique, du religieux, du pastoral, ils vous en donneront à votre guise, ils seront tendres, amoureux, passionnés et sublimes sans qu’il leur en coûte une émotion, sans que le dieu ou le démon intervienne, et par le seul emploi des moyens techniques prestigieusement dissimulés. À ce travail d’application, M. Gounod excelle ; il a dans sa main tous les styles ; mais cette faculté d’évoquer des mirages lui joue aussi par momens de bien méchans tours, souvent la note qu’il frappe éveille en vous des nostalgies d’un idéal absent dont il ne réussit à vous donner que l’illusion. Ainsi prenez tel personnage, telle situation de Mireille, et vous verrez qu’il vous arrivera presque toujours